C'était un jour de retraite de profession de foi. Au milieu de la matinée, les enfants jouaient dans la cour du presbytère. Soudain, un jeune garçon s'arrête et s'approche. Après un temps de silence, et avec un grand sérieux : « Dites, madame, comment on sait quand c'est Dieu qui nous parle ?... » L'enfant a raison de poser cette question. N'est-elle pas la nôtre aussi ? En effet, quand nous disons que Dieu nous parle, qu'en savons-nous ? Est-ce que ce ne sont pas toujours des êtres humains qui disent que Dieu leur parle ? Et, dans le concert des dieux que les traditions religieuses ou les sectes proclament, quel est donc ce Dieu dont je dis qu'il me parle ?


Un « je ne sais quoi »


Le mot « rumeur » pour parler des choses de la foi a une bonne fortune en notre temps. En toute rigueur, s'il s'applique à la Bonne Nouvelle de Jésus après sa résurrection, en tant que celle-ci se répandait de proche en proche comme un bruit qui court 1, la signification devient plus floue quand on veut l'appliquer à la façon dont Dieu se manifeste en notre monde. Pourtant, le mot évoque plusieurs réalités dont nous prenons conscience aujourd'hui avec un certain bonheur. Parler de la « rumeur de Dieu » , c'est peut-être dire qu'en voulant évoquer Dieu nous sommes souvent bien en amont de ce que nous appelons la « Parole de Dieu », seulement au seuil, en tout cas bien loin d'une parole qui ferait le tour de la question et pourrait paraître définitive. Nous concevons aujourd'hui qu'une parole vraie est toujours une parole vive qui se prépare en balbutiements et qui s'offre à l'échange. Climat en affinité avec celui du début de l'Eglise, quand l'esprit de Pentecôte s'exprimait encore en « bruit » et « diverses langues », attendant de cheminer, de « croître », de prendre consistance, comme « Parole de Dieu » 2.
Parler de la « rumeur de Dieu », c'est dire aussi, peut-être, que notre Dieu ne parle pas en solitaire et en surplomb du monde des humains, mais qu'il ne se communique qu'à travers la mélopée d'une foule de témoins anonymes d'hier et d'aujourd'hui. C'est dire que notre Dieu est un « Dieu commun », un Dieu qui se tient toujours parmi nous et entre nous. Nous ne connaîtrons jamais son visage en dehors du visage des autres humains, en dehors de ce que nous nous en racontons les uns aux autres. C'est reconnaître aussi que nous devons prêter l'oreille si nous voulons, comme Elie à l'Horeb, la discerner, sourde, sous le fracas et la violence de l'ouragan et des coups de tonnerre.
Parler de la « rumeur de Dieu », enfin, c'est vouloir affirmer que les choses de la foi ne s'expliquent pas de façon rationnelle, objective, scientifique : nous sommes en train de sortir de ces excès venus de l'époque des « Lumières ». C'est nous rappeler que le Dieu de la Bible, le Dieu de Jésus est aussi et surtout un Dieu qui s'adresse à tout l'être, et surtout au « coeur ». C'est tâcher alors de retrouver le chemin des poètes mystiques, tel celui de Jean de la Croix quand il chante : « Tous ceux qui vont et viennent me racontent de vous mille beautés et ne font que me blesser davantage, mais ce qui me laisse mourante, c'est un je ne sais quoi qu'ils sont à balbutier » 3.
La rumeur de Dieu est comparable au bruit du vent dans les arbres, et le vent, comme le disait Jésus à Nicodème, souffle où il veut. Il est insaisissable et « tu ne sais ni d'où il vient ni où il va »... Cette rumeur est un principe d'inquiétude pour que je reste aux aguets, voyageant dans ce monde qui est le mien entre les deux inconnus que sont mon propre coeur et le coeur de Dieu.
« Comment on sait quand c'est Dieu qui nous parle ?» La réponse à l'enfant ne peut être donnée qu'à partir de l'expérience : « Je peux te raconter comment mon Dieu me parle... Mais sache aussi que cette expérience même s'inscrit dans l'histoire d'un peuple de croyants : j'ai reconnu que mon Dieu me parlait parce que d'autres, avant moi et devant moi, m'avaient raconté comment ils avaient reconnu, discerné sa voix. » La « rumeur de Dieu », si l'on veut parler ainsi et si le Dieu dont on parle est celui que Jésus nous a révélé, c'est ainsi qu'elle vient jusqu'à nous, parfois comme une polyphonie, parfois comme un balbutiement, parfois comme un murmure d'amoureux. Mais elle est toujours, cette « rumeur de Dieu », une rumeur d'humanité.


Un Dieu caché


Il y a d'abord le silence.
Nous voulons parler ici de ce silence qui est vertige, vide, absence. Un silence non habité du tout, un silence de solitude et de déréliction, désert et nuit. Où est Dieu ? Pourquoi le mal ? Ces deux questions sont celles qui parcouraient déjà le livre de Job et que nous ne pouvons éviter en notre temps. Ne faisons-nous pas nôtres les plaintes du prophète : « Pourquoi gardes-tu le silence quand l'impie engloutit un plus juste que lui ? » (Ha 1,13), ou les reproches du psalmiste : « O Dieu, ne reste pas muet, plus de repos, plus de silence, ô Dieu » (Ps 83,2) ? Dans un discours à l'Université de Tel-Aviv en 1995, Aaron Jean-Marie Lustiger posait la question existentielle à propos de la Shoah : « Pourquoi Dieu s'est-il tu ? » Car « la seule réponse divine à la mesure de ce projet d'anéantissement eût été la destruction de l'humanité, un nouveau déluge ». Pourquoi Dieu s'est-il tu ? Contre ce silence incompréhensible, cette pierre de scandale, cette « éclipse de Dieu » pour son peuple, on comprend que certains juifs aient trébuché, dans l'incapacité de croire encore à ce Dieu agissant dans l'histoire. D'autres, pourtant, au creux de la détresse et de la nuit, ont trouvé dans la mémoire de leur foi la force de crier encore à Dieu, comme leurs pères, leur scandale et leur désarroi.
Même si cette expérience du silence de Dieu est intolérable d'abord pour ceux qui appartiennent au peuple élu, elle n'atteint pas que les juifs. Tout être humain en quête du sens de sa vie connaît un jour ou l'autre l'angoisse du vide, du désert et de la nuit. Les mystiques tentent de rendre compte de cette expérience. Pour les chrétiens, le clair-obscur d'une réponse n'est donné que dans le regard sur le Christ, Jésus crucifié, abandonné de tous, y compris de Dieu son Père. Bienheureux ceux et celles qui, telles les femmes au Calvaire, ne cherchent pas à remplir ce silence, mais tiennent le temps qu'il faut (trois jours : une éternité) avec l'angoisse au ventre ! C'est l'heure de l'espérance.
Quand Sylvie Germain évoque ces autres femmes de foi que furent Edith Stein et Etty Hillesum, elle rapproche leur prière de celle de la reine Esther : « Une plongée dans l'absence, un exil intérieur au désert, une sortie "hors de soi" par évidement, oubli et oblation de soi. Rien — extraordinairement rien : une tentative de se mettre au diapason du Silence de Dieu. » Une prière qui « ne s'est pas tue et ne se taira jamais », qui « ne s'est pas perdue dans le néant », qui « continue à sonder le Silence, à irradier, à faire sens, appel, urgence, — à effleurer notre conscience, à ranimer notre mémoire, à attiser notre attention, pour que sans fin se poursuive l'ineffable dialogue entre l'humanité et Dieu » 4.
Pourquoi Dieu s'est-il tu ? Scrutant l'Ecriture, Aaron Jean-Marie Lustiger y trouve une mystérieuse réponse : devant les ténèbres de la Shoah, Dieu s'est tu par fidélité à son alliance avec Noé. N'avait-il pas proclamé : « Jamais plus je ne frapperai tous les vivants comme j'ai fait » (Gn 8,21 ) ? Dieu se tait parce qu'il a laissé entre les mains des hommes le pouvoir d'anéantir l'humanité... Dans la même ligne, la tradition juive rappelle que Dieu se tait parce qu'il est le « Dieu caché », le Dieu du septième jour. Le Dieu du Shabbat, en effet, est le Dieu qui se retire, qui se cache, réprimant l'évidence et l'intensité de sa présence pour que l'homme existe et accède à la liberté.


Soucieux des pauvres


Mais dire que Dieu se cache, que Dieu se tait, n'empêche pas de croire qu'il s'inquiète de ce qui se passe. Dieu, retiré du monde, attend avec angoisse que l'humanité réussisse.. Nous croyons que « le cri des pauvres », malgré les apparences parfois, monte aux oreilles de Dieu et provoque sa colère. Quand Dieu donne à son peuple le code de l'Alliance, il se présente lui-même tantôt suppliant, tantôt menaçant, pour lui parler de son devoir d'humanité envers les plus petits :

« Tu ne molesteras pas l'étranger ni ne l'opprimeras, car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d'Egypte. Vous ne maltraiterez pas une veuve ni un orphelin. Si tu le maltraites et qu'il crie vers moi, j'écouterai son cri ; ma colère s'enflammera et je vous ferai périr par l'épée : vos femmes seront veuves et vos fils orphelins. Si tu prêtes de l'argent à un compatriote, à l'indigent qui est chez toi, tu ne te comporteras pas envers lui comme un prêteur à gages, vous ne lui imposerez pas d'intérêts. Si tu prends en gage le manteau de quelqu'un, tu le lui rendras au coucher du soleil. C'est sa seule couverture, c'est le manteau dont il enveloppe son corps . dans quoi se couchera-t-il ? S'il crie vers moi, je (écouterai, car je suis compatissant, moi ! » (Ex 22,20-26).

A la suite d'Amos qui « rugit » contre les crimes d'Israël, les prophètes dénoncent sans trêve « la violence et le brigandage » dont le pays est souillé : fraudes éhontées dans le commerce, accaparement des terres, asservissement des petits, abus de pouvoir et perversion de la justice elle-même. Aussi, le Messie attendu viendra faire régner la justice et le droit : « O Dieu, donne au roi ton jugement, au fils de roi ta justice, qu'il rende à ton peuple sentence juste et jugement à tes petits »(Ps 72,12).
« Qu'il n'y ait donc pas de pauvre chez toi. » Cette parole du Deutéronome résume le désir du Créateur pour son peuple. Désir tellement bafoué ! Il suffit de parcourir les psaumes pour entendre souvent monter vers le Seigneur la clameur des pauvres. Tous les pauvres, les indigents, les persécutés, les malheureux, les affligés, ceux qui se sentent abandonnés, méprisés, tous attendent leur salut de celui qu'ils savent être leur défenseur. Cette clameur semble en effet atteindre Dieu en plein coeur. Et s'établit une relation privilégiée entre Dieu et les pauvres. Le pauvre des psaumes ne se contente pas de gémir, il apparaît aussi comme l'ami et le serviteur de Dieu, en qui il s'abrite avec confiance... « Ne livre pas à la bête l'âme de ta tourterelle, la vie de tes malheureux, ne l'oublie pas jusqu'à la fin » (Ps 74,19).
A l'aube du Nouveau Testament, comme le chante Marie, l'heure est venue où se réalisent les promesses d'autrefois : « Les pauvres mangeront et seront rassasiés » (Ps 22,27). Ils sont conviés à la table de Dieu. Jésus apparaît ainsi comme le Messie des pauvres, consacré par l'onction pour leur porter la Bonne Nouvelle. Lui-même, par toute sa vie, est un pauvre, témoignant ainsi d'une pauvreté bien plus radicale, celle de son être de Fils Désormais, tous les pauvres sont invités à vivre de cette filiation de Jésus Bien plus, tous les humains, riches et pauvres, sont invites à se reconnaître radicalement pauvres, mendiants du Père, enfants, fils dans le Fils, frères et soeurs de tous « Heureux les pauvres de cœur »
Le royaume est déjà là, et pourtant ' La clameur des pauvres aujourd'hui n'est-elle pas encore immense ? Nous ne pouvons faire la liste de tous ceux et celles qui, sur notre planète, vivent en dessous du seuil de pauvreté, de tous ceux et celles qui sont victimes de la violence et de la guerre, de tous ceux et celles dont la souffrance est cachée aux yeux du monde mais non moins réelle vieillards abandonnés, enfants maltraités, etc. Jésus l'avait dit « Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous » (Jn 12,8) Celui qui cherche la « rumeur de Dieu » ne peut que l'entendre venir de ce côté


Il passe et il s'approche


En Jésus, Dieu se révèle tellement solidaire des petits qu'il va jusqu'à s'identifier à eux Derrière chacun de leurs visages, les chrétiens entendent le maître leur dire chaque fois « Dans la mesure ou vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ( ) Dans la mesure où vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait » (Mt 25,40 45) Cependant, dans la « parabole du Jugement dernier », la bénédiction (« Venez, les bénis de mon Père ») s'adresse à tout homme, chrétien ou non, qui travaille à soulager la misère des autres Les « justes » sont bénis, non parce qu'ils reconnaissent en Jésus le Fils de Dieu, mais parce qu'eux seuls construisent une humanité selon le coeur de Dieu « C'est à moi que vous le faites »
Une autre parabole raconte une histoire de « juste », celle du « bon Samaritain » (Le 10,29-31) Tout en étant une leçon de morale (« Va, et toi aussi, fais de même »), elle nous ouvre des perspectives étonnantes, nous introduisant au mystère de Dieu lui-même, révèle en Jésus C'est ce qu'ont su exprimer les maîtres verriers de nos cathédrales, en exploitant les possibilités que donne la beauté du vitrail au regard du récit Ainsi, l'homme qui descend de Jérusalem à Jéricho est présente dans les vitraux de Bourges comme un pèlerin, signifiant d'abord l'humanité toujours en pèlerinage sur cette terre Depuis Abraham, parti « sans savoir où il allait », le croyant est toujours un être en chemin. Alors que le rite de la Mezouza 5 veut rappeler cette vérité à nos frères juifs, ceux dont le Maître a proclamé : « Je suis le chemin », peuvent-ils encore s'installer ?
Pierre dira de Jésus qu'« il est passé en faisant le bien ». Aussi ne sommes-nous pas étonnés que les artistes verriers donnent à ce Samaritain son propre visage... Le prêtre et le lévite, eux aussi, sont « passés », et tous deux aussi ont « vu », mais seul le Samaritain a le visage du « pèlerin », ou plutôt du Christ-pèlerin. Comme pour dire : c'est ainsi que Dieu agit, toujours en passant..., sans trop s'arrêter, sans s'imposer, confiant à d'autres de faire les choses qu'il pourrait bien faire lui-même..., et pourtant, paradoxalement, en s'approchant, car, devant une victime, son coeur de Dieu ne peut pas ne pas le conduire à« s'approcher»...
Au centre du vitrail, verticalement, c'est l'histoire de l'homme dépouillé, roué de coups, crucifié, qui occupe la place. Toute la symbolique des vitraux fait de cet homme encore l'image du Christ dans sa passion. Ainsi, celui qui était pèlerin revêt maintenant le visage de la victime innocente, qui prend sur elle le poids du malheur. Le blessé est couché en travers de l'arbre qui le crucifie, et le péché est évoqué dans les vitraux latéraux. Celui qui se présentait sous les traits du pèlerin est donc aussi le « Serviteur souffrant ». Il a le visage de l'humanité blessée. C'est ainsi que Dieu s'approche, acceptant non seulement de soulager, mais s'engageant dans la souffrance et la détresse humaine jusqu'à la mort.
Après le Samaritain pèlerin, après l'homme blessé et crucifié, c'est maintenant au tour du Samaritain guérisseur de symboliser le Christ. Devant l'humanité blessée, le coeur de Dieu a été touché jusqu'à prendre sur lui la blessure. Mais en Jésus, c'est Dieu lui-même encore qui vient soigner et guérir... Le vitrail nous invite ainsi à entrer dans le mystère d'un Dieu qui se révèle comme étant à la fois celui qui passe, celui qui est livré à l'abandon et à la mort, l'étranger qui s'approche avec compassion pour soigner et guérir. Jésus le Christ n'est-il pas, en effet, un peu tout cela ? N'est-il pas celui qui est passé en notre humanité pour devenir passeur de l'humanité vers le Père ? N'est-il pas aussi et en même temps celui qui a été livré à en mourir, et celui qui par ses blessures mêmes apporte la guérison ?
Au début du texte, le légiste avait posé la question : « Qui est mon prochain ?» A la fin de la parabole, Jésus, répondant autrement qu'on l'attend, pose une nouvelle question : « Lequel des trois, à ton avis, s'est montré le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands ? » En répondant autrement qu'on l'attend, en retournant la question du légiste, Jésus ouvre une porte nouvelle, celle du mystère d'un Dieu qui se fait notre prochain... C'est cela que les artistes verriers ont su dire en leur vitrail. En vérité, se « montrer le prochain » n'est pas à la portée de tout le monde, c'est chose divine... En Jésus se réalise en plénitude ce que toute l'Ecriture célébrait déjà dans un étonnement permanent : « Quelle est la grande nation dont les dieux se fassent aussi proches que le Seigneur notre Dieu l'est pour nous chaque fois que nous l'invoquons ? » (Dt 4,7). En Jésus, le juste, Dieu s'approche de l'homme et l'homme s'approche de Dieu, ainsi que le dit si bien saint Irénée : « Le Verbe de Dieu a fait sa demeure chez l'homme et s'est fait fils d'homme pour accoutumer l'homme à saisir Dieu, et pour accoutumer Dieu à habiter dans l'homme » 6.
Ils sont nombreux dans notre monde, tous ceux et celles qui ont choisi de marcher dans l'existence comme ce Samaritain — prêts à vivre pour les autres sans assurance du chemin, prêts à faire ce qu'ils peuvent, selon leurs compétences, pour s'approcher de tout être en souffrance. Ceux-là sont les « justes ». Ceux-là donnent leur voix, parfois sans le savoir, à la rumeur de Dieu. Gageons qu'ils ne sont pas plus nombreux dans nos Eglises qu'ailleurs...


Rumeur de vie


En choisissant de parler de Dieu en terme de « rumeur », peut-être nous faut-il prendre garde. Il y aurait le risque de laisser croire que sa présence est inconsistante, aléatoire, et la foi en lui, finalement, « à option ». Après des siècles de présentation d'un Dieu « obligatoire », « nécessaire », prenons garde de ne pas le réduire à une « simple rumeur »... « Dieu est amour », et l'amour n'est-il pas toujours à la fois totalement gratuit, vulnérable et nécessaire pour vivre en humanité ? Non, Dieu n'est pas qu'une rumeur. Certes, il est le Dieu caché du septième jour, qui se cache pour voir l'humanité se construire dans la liberté et la fraternité. Mais il est Dieu, celui de qui tout vient et à qui tout retourne... Sachant cela, on se prend à chanter avec le poète :
« En toute vie le silence dit Dieu ! Tout ce qui est tressaille d'être à lui (...) Pas un seul mot, et pourtant c'est son nom que tout secrète et presse de chanter. » Oui, toute vie : « l'hiver et le printemps », « l'arbre en sommeil et en fleurs », le cosmos tout entier transfiguré par la venue du Verbe, et ma vie, et la vie de tout être humain, invités que nous sommes à nous laisser prendre dans « l'hymne d'univers » 7.

Pour entendre cette « rumeur de vie » qui balbutie en nous et hors de nous, « il suffit d'être », dit le poète. Non pas courir et s'étourdir, non pas avoir et accumuler, mais seulement « être ». Et, pour cela, il n'est question ni de bruit ni d'absence de bruit autour de nous, mais de l'abîme qui s'ouvre au centre de nous-mêmes, là seulement où Dieu rejoint chacun dans le secret. C'est là surtout que Dieu me parle. C'est là qu'il se remet, fragile et désarmé comme un nouveau-né, entre mes mains. Prenons garde, nous qui avons appris à reconnaître sa voix : la rumeur joyeuse de sa présence aimante en ce monde nous est confiée.



1. Cf Joseph Moingt, L'homme qui venait de Dieu, Cerf, 1 993 (prologue)
2. On peut voir le cheminement de ce qui devient peu à peu « Parole de Dieu » en lisant les chapitres II et III des Actes des Apôtres
3. Cantique spirituel, strophe 7
4 Etty Hillesum, Pygmalion, 1999, pp 176 et 178
5. « La Mezouza est un petit parchemin écrit à la main qui contient plusieurs passages de la Tora et que l'on fixe à toutes les portes principales de la maison ( ) Placé à la pone de la maison, la Mezouza rappelle à l'homme qui vient d'un long chemin que le voyage ne doit pas s'arrêter, et que l'homme doit continuer à s'inventer » (Marc-Alain Ouaknin, Les symboles du judaïsme, Assoulme, 2000, pp. 26 et 28)
6. Contre les hérésies, 3,20,2-3
7. Patrice de La Tour du Pin, Hymne de l'Office des lectures (jeudi 1er), p 676