Les auteurs chrétiens des premiers siècles usent abondamment d'images empruntées à la vie militaire ou sportive. Dans leurs écrits, il est souvent question d'ennemis à combattre, d'arène, de palestre, d'armes, de couronnes et de victoires. Le chrétien est un athlète ou un soldat. La fréquence de ces métaphores est significative. Un excellent connaisseur de la littérature patristique et de l'ancien monachisme n'hésitait pas à écrire que « ce serait être victime d'une fatale illusion que d'attribuer à la doctrine évangélique et à la religion de Jésus Christ le seul but ici-bas de pénétrer les sphères de la vie publique comme de la vie privée, pour les transformer tranquillement sans provoquer ni crises ni troubles. La réalité de la vie chrétienne est tout autre. La vie de l'Eglise est une lutte continuelle entre les deux royaumes, celui de Dieu et celui du Prince de ce monde. Et l'on doit en dire autant de l'oeuvre de sanctification dans chaque individu » 1.
 

Du martyre à l'ascèse


Durant les trois premiers siècles, le soldat du Christ par excellence était le martyr. A cette époque, l'oeuvre rédemptrice du Christ était conçue avant tout comme un combat victorieux contre Satan, pour libérer de son emprise l'homme et la création qui lui avait été soumis par le péché des premiers parents 2. Dans la personne du martyr, qui pouvait redire mieux que tout autre : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2,20), le Christ revivait ce combat rédempteur aux dimensions cosmiques. Cependant, même à l'époque des persécutions, le martyre n'était pas accordé à tous. Il était interdit à un chrétien de s'y exposer volontairement. C'est pourquoi, très tôt, l'ascèse, le renoncement effectif au monde présent et le combat spirituel étaient apparus comme un équivalent possible du martyre. Au martyre sanglant se substituait le « martyre de la conscience » 3.
Derrière les pouvoirs politiques hostiles et persécuteurs, derrière les tourments des bourreaux, les martyrs discernaient la présence et l'action de Satan. C'est lui qu'en définitive ils affrontaient victorieusement. On ne peut qu'être frappé de l'importance que l'ancienne littérature monastique accordait elle aussi à la lutte contre les démons. Le rationalisme moderne l'attribuera volontiers au fait que la plupart des anciens moines étaient « des gens simples, de très humble origine et sans culture », sujets à toutes les superstitions de leur milieu 4. Pourtant, cette démonologie se retrouve chez des hommes indéniablement cultivés, tel Evagre le Pontique (v. 345-399), ancien disciple de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze, devenu moine à Scété. Ne s'agit-il pas alors d'un langage « mythologique », utilisé par ces auteurs pour décrire des réalités purement psychiques ? La psychologie jungienne ne nous invite-t-elle pas à démythifier ce langage et à ne voir dans le démon que « l'image d'un état passionnel indépendant, personnifié » 5 ? Parler de lutte contre le démon ne serait alors qu'une façon d'extérioriser l'inconscient, de le nommer afin de pouvoir s'en défendre.
Cette interprétation réductrice ramène la spiritualité de l'ancien monachisme à un niveau purement moral et psychologique. Elle en sape les fondements scripturaires et en occulte les dimensions véritables, qui sont celles de la participation de l'Eglise, à travers le temps et l'espace, au combat rédempteur du Christ. Moins naïfs et plus psychologues que nous l'imaginons, les anciens Pères savaient que beaucoup de nos tentations ont leur origine dans notre psychisme, mais aussi que les démons étaient habiles à « s'emparer du coeur et à semer les passions dans le mouvement naturel du corps » 6. D'une façon ou d'une autre, derrière toute tentation se profile l'ombre de Satan.
 

Le combat invisible


Comme l'enseignent les Pères, Satan peut tenter l'homme soit en se servant de la société de ses semblables et des choses visibles, soit, en leur absence, au moyen de leur souvenir. Par son renoncement effectif au monde, le moine est libéré, dans une large mesure, du premier de ces combats. Mais c'est alors qu'il découvre qu'il doit entreprendre une autre lutte, contre les « pensées », dans son propre coeur ; et celle-ci est de beaucoup la plus âpre :
 
« L'Abbé Antoine a dit : "Celui qui se tient au désert dans la retraite est libéré de trois combats, celui de l'ouïe, celui du bavardage et celui de la vue. Il n'en a plus qu'un, celui du coeur" » 7.

La version copte de cet apophtegme l'explicite ainsi :
 
« Le corps est la maison du coeur • il a une porte et des fenêtres. Quand je sors vers les hommes, elles s'ouvrent toutes, les bourrasques et les pluies y entrent, c'est-à-dire que l'on entend, voit, parle, sent. Quand je reste dans ma cellule, elles sont fermées, et je suis sans tempête ; ce n'est qu'avec mon coeur que j'ai à combattre, et je suis libre des quatre autres » 8

Mais, comme le font observer les Homélies spirituelles, que la tradition a attribuées à saint Macaire d'Egypte :
 
« Celui qui renonce véritablement au monde, qui lutte et rejette loin de lui le fardeau de cette terre, qui s'est arraché aux vaines convoitises, aux plaisirs charnels, à la gloire, à la domination, aux honneurs des hommes, qui s'en éloigne de tout son coeur — puisque le Seigneur lui vient secrètement en aide dans ce combat visible, dans la mesure même où il renonce volontairement au monde —, qui tient bon dans le service du Seigneur et y persévère de tout son être, corps et âme, celui-là découvre en lui-même des ennemis secrets, des passions cachées, des liens invisibles, une guerre occulte, une lutte et un combat dissimulés. Alors, il implore le Seigneur et reçoit du ciel les armes de l'Esprit, comme le dit le bienheureux Apôtre : "La cuirasse de justice, le casque du salut, le bouclier de la foi, le glaive de l'Esprit." Ainsi armé, il pourra "résister aux manoeuvres secrètes du Malin" (...), et surtout, par la foi, il sera capable de livrer une bataille décisive contre "les Puissances, les Dominations et les Régisseurs de ce monde" (Ep 6,11-12.14) » 9.
 

Le discernement des esprits


Pour aider leurs disciples à se tenir en éveil à l'égard des multiples « pensées » qui peuvent se lever dans leur coeur, les maîtres spirituels du désert ont souvent dressé des listes et tracé des descriptions des différentes sortes de tentations, attribuées à autant de démons distincts. Le plus classique de ces exposés est celui d'Evagre le Pontique, qui énumère et décrit la gourmandise, la luxure, l'amour de l'argent, la colère, la mauvaise tristesse, l'acédie (lassitude et dégoût de l'effort spirituel), la vaine gloire et l'orgueil 10. Cette liste, reprise par Jean Cassien dans ses Institutions cénobitiques 11, est à l'origine de celle des « péchés capitaux » transmise à l'Occident par le pape Grégoire le Grand. Mais le catalogue des péchés capitaux représente le point de vue du moraliste et du confesseur : il s'agit de péchés commis, à accuser en confession. Le point de vue des Pères du désert et d'Evagre était celui du père spirituel, à qui le disciple doit manifester ses pensées, ses tentations, afin de les soumettre à son discernement et d'apprendre de lui la tactique à employer pour triompher des ruses du démon.
Il n'est pas toujours facile en effet, de discerner la vraie nature des mouvements qui s'élèvent dans notre coeur. Satan est habile à se transformer en ange de lumière (cf. 2 Co 11,14), et ses ruses sont subtiles et innombrables. Une tentation de gourmandise pourra se déguiser en souci louable de ménager sa santé ; une tentation de luxure, en amitié spirituelle ; une tentation d'acédie, en désir de visiter les frères malades ou d'exercer un ministère pastoral ; une tentation de vaine gloire ou d'orgueil revêtira l'aspect du zèle pour la prière les veilles nocturnes ou le jeûne, etc.
Pour discerner, parmi les « pensées » qui se lèvent dans notre coeur, celles qui viennent réellement du « bon esprit » de celles qui procèdent du Malin, les Pères ont proposé très tôt quelques règles de discernement qui sont restées classiques : ce qui laisse l'âme paisible, sereine, humble et joyeuse, sans nulle impatience, raideur ou aigreur, a toutes chances de venir du bon esprit ; au contraire, le trouble, la raideur, l'aigreur, le zèle amer, la mauvaise tristesse, l'impatience, l'exaltation de l'imagination, sont les signes ordinaires qui révèlent l'illusion. Saint Antoine, dans le discours ascétique qui nous est rapporté dans sa Vie par saint Athanase d'Alexandrie, instruisait ainsi ses disciples :
 
« Il est possible et facile de distinguer la présence des bons et des mauvais esprits, si Dieu donne cette grâce. La vue des saints n'est pas troublante. "Il ne criera point, il ne parlera pas haut, il ne fera pas entendre sa voix dans les rues" (/s 42,2). Elle se produit tranquillement et doucement, si bien qu'aussitôt la joie, l'allégresse et le courage s'insinuent dans l'âme. Car avec eux est le Seigneur, qui est notre joie et la Puissance de Dieu le Père. Les pensées de l'âme demeurent sans trouble et sans agitation (...) Mais l'incursion et l'apparition des mauvais sont troubles, elles se font avec bruit, rumeurs et cris, comme une agitation de gens mal élevés et de brigands, ce qui produit aussitôt frayeur de l'âme, trouble et désordre des pensées, tristesse, haine contte les ascètes, acédie, chagrin, souvenir des proches, crainte de la mort, et enfin désirs mauvais, pusillanimité pour la vertu et dérèglement des moeurs » 12.
 

Le recours au père spirituel


Il ne suffit pas de connaître ces critères d'une façon théorique pour être capable de reconnaître avec sûreté l'origine des pensées et des inspirations qui naissent dans le coeur. Comme le disait saint Antoine, il faut que Dieu donne cette grâce. Le véritable discernement des esprits est affaire de « goût » et de « saveur » ; il procède d'un instinct, d'un tact spirituel affiné qui vient d'un don gratuit de Dieu, qui n'est ordinairement accordé qu'à des hommes dont le coeur est profondément purifié. C'est pourquoi la tradition du désert a toujours fait de la manifestation des pensées à un père spirituel une pièce maîtresse de la formation du moine. Selon Cassien, l'Abbé Moïse disait :
 
« La vraie discrétion ne s'acquiert qu'au prix d'une véritable humilité. De celle-ci, la première preuve sera de laisser aux anciens le jugement de toutes ses actions et de ses pensées elles-mêmes, de telle sorte qu'on ne se fie en rien à son sens propre, mais qu'en toutes choses on acquiesce à leurs décisions, et que l'on ne veuille connaître que de leur bouche ce qu'il faut tenir comme bon et ce qu'il faut regarder comme mauvais (...) Une mauvaise pensée produite au jour perd aussitôt son venin. Avant même que le père spirituel ait rendu son arrêt, le serpent redoutable, que cet aveu a, pour ainsi dire, arraché à son antre souterrain et ténébreux pour le jeter à la lumière et donner sa honte en spectacle, s'empresse de battre en retraite ; ses suggestions pernicieuses n'ont sur nous d'empire qu'autant qu'elles demeurent cachées au fond du coeur » 13.

Se confier en soi-même et se croire capable de discerner mieux qu'autrui ce qui nous convient est le plus fondamental de tous les obstacles dans la vie spirituelle. Saint Dorothée de Gaza parle d'expérience :
 
« Pour ma part, je ne connais aucune chute de moine qui n'ait été causée par la confiance en soi. Certains disent : "L'homme tombe à cause de ceci, à cause de cela." Mais moi, je le répète, je ne connais pas de chute qui soit arrivée pour une autre raison que celle-là. Vois-tu quelqu'un tomber ? Sache qu'il s'est dirigé lui-même. Rien n'est plus grave que de se diriger soi-même, rien n'est plus fatal » 14.
 

Vigilance et prière


Dans le combat spirituel, les armes principales sont la vigilance, ou sobriété spirituelle (nepsis), et la prière. La vigilance : il faut se garder non seulement des tentations, mais aussi de toutes les constructions de noue imagination, des interprétations que nous sommes tentés de donner au comportement d'autrui, des jugements, bref de toutes les pensées qui ne tendent pas à l'accomplissement concret et immédiat, par nous-mêmes, de la volonté de Dieu.
Cette lutte contre les pensées revêt, aux yeux des maîtres spirituels du désert, une extrême importance. L'homme peut épuiser son corps par les jeûnes, les veilles, les travaux de toute sorte, observer scrupuleusement tout ce qui concerne l'extérieur du moine, et rester ballotté par de multiples pensées et imaginations qui stérilisent ses efforts et l'exposent à de graves chutes. Dès qu'une pensée mauvaise, un simple attrait pour une action mauvaise, affleure à notre conscience il faut la combattre. Mieux vaut ne pas entamer de dialogue avec elle mais cou- per court dès le stade de la simple suggestion, pour ne pas se laisser entraîner jusqu'au consentement :
 
« Nous devons nous souvenir sans cesse de ce précepte . "Garde soigneusement ton coeur" (Pr 4,23 selon les LXX), et, selon le commandement principal de Dieu, observer avec vigilance la tête dangereuse du serpent, c'est-à-dire le début des pensées mauvaises par lesquelles le diable essaie de se glisser dans notre âme. Par notre négligence, ne laissons pas envahir notre coeur par tout le corps de ce serpent — ce qui est le consentement à la tentation —, car il est bien évident que, une fois introduit, il fera pénr de sa morsure virulente notre esprit prisonnier » 15.

Seul l'Esprit Saint peut nous guérir de la blessure du péché, en suscitant dans notre coeur un attrait pour le bien plus fort que l'attrait pour le mal éveillé en nous par le démon. Pour purifier notre coeur de toute atteinte, nous ne pouvons que prier instamment le Christ de nous envoyer son Esprit, en imitant l'hémorrhoïsse ou l'aveugle de l'Evangile, lui « qui fit de sa voix un messager plus rapide que les anges en s'écriant : "Fils de David, aie pitié de moi ! " ».
Cassien recommandait d'adresser au Seigneur une prière brève et ardente, ramassée en une seule phrase fréquemment répétée. Il conseillait d'utiliser pour cela le verset 2 du psaume 69 : « O Dieu, sois attentif à me secourir ; Seigneur, hâte-toi de venir à mon aide » 16. C'est sans doute en Egypte, au désert de Scété, que prit naissance et se généralisa l'usage d'employer la « prière de Jésus » : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur » 17.
 

La violence évangélique


Les Pères du désert étaient cependant très éloignés de faire consister tout l'effort spirituel dans la seule prière : « Auprès de Dieu, il n'est pas seulement besoin de genoux pour passer la journée entière en prière (...) Sans la vertu des autres membres, la prière est morte », disait l'auteur des Homélies spirituelles. Et il ajoutait, à l'encontre de toute tendance quiétiste :
 
« Lorsque quelqu'un s'approche du Seigneur, il faut d'abord qu'il se fasse violence pour accomplir le bien, même si son coeur ne le veut pas, en attendant toujours sa miséricorde avec une foi inébranlable ; qu'il se fasse violence pour aimer sans avoir d'amour, qu'il se fasse violence pour être doux sans avoir de douceur, qu'il se fasse violence pour être compatissant et miséricordieux, qu'il se fasse violence pour supporter le mépris, pour rester patient quand il est méprisé (...), qu'il se fasse violence pour prier sans avoir la prière spirituelle. Quand Dieu verra comment il lutte et se fait violence, alors que son coeur ne le veut pas, il lui donnera la vraie prière spirituelle, il lui donnera la vraie charité, la vraie douceur, des entrailles de compassion, la vraie bonté ; en un mot, il le remplira des dons du Saint-Esprit » 18.

Un apophtegme résume cet enseignement en une phrase lapidaire : « Un Ancien a dit : "Se faire violence en tout, c'est là la voie de Dieu et le travail du moine" » 19 ; et Jean Climaque posera cette définition au premier degré de son Echelle : « Le moine, c'est une violence continuelle faite à la nature et une vigilance incessante sur les sens » 20. Pourquoi cette violence ? Au baptême, certes, le chrétien reçoit l'Esprit Saint, qui inscrit en lui ses instincts divins vers le bien, mais ce don initial reste comme caché et laisse subsister un attrait désordonné vers les satisfactions égoïstes, qui est une séquelle du péché et y incline bien que d'une façon non nécessitante. Au baptême, la grâce est reçue comme un germe, ou un talent, que le chrétien doit faire croître, fructifier et se multiplier, par le consentement que sa liberté apporte à cette grâce divine. Si la déification était accordée à l'homme sans exiger de sa part un long combat spirituel, elle serait seulement subie, elle ne serait pas vraiment sienne. Dans le baptisé, l'attrait pour le péché reste vif, et plus perceptible à la conscience psychologique que l'attrait pour le bien inscrit dans le coeur par l'Esprit Saint. C'est ce qui donne à l'effort spirituel ce caractère de violence. Les commandements apparaissent alors comme une loi qui s'impose de l'extérieur.
Les premiers efforts de l'ascète sont couronnés par l'éveil dans l'âme, sous l'action de l'Esprit, d'une ferveur qui manifeste que la loi divine est bien inscrite dans le coeur de chair du baptisé, et non plus sur des tables de pierre Mais à ces moments de ferveur succèdent des périodes de retrait de cette grâce, qui sont nécessaires pour enraciner l'âme plus fermement dans le bien, et la faire passer du stade de la ferveur sensible à un amour plus proprement spirituel et plus stable Cette pédagogie divine a été remarquablement décrite par l'Abbé Ammonas, successeur de saint Antoine, et par certains textes de la tradition macarienne.
 

Le don plénier de l'Esprit Saint


Un temps viendra cependant où l'ascète, après avoir longuement lutté, expérimentera en lui-même la venue plénière de l'Esprit Saint. Dès lors, tout ce qu'il accomplissait jusque-là en se faisant violence, sans que son coeur y incline, il l'accomplit désormais de bon gré. Les puissances de désir et d'agressivité de l'âme retrouvent leur intégrité originelle, et mettent leur spontanéité et leur élan au service de l'amour de Dieu, comme ces fauves redoutables du désert qui s'adoucissaient au contact des saints moines, parce qu'ils percevaient en eux la grâce qui reposait sur Adam avant la chute. Le coeur de l'homme est alors pleinement recréé et illuminé par l'Esprit Saint, qui lui donne le sens intime des choses divines. Les Pères, qui avaient reçu l'influence de la culture alexandrine, parlaient alors de théoria, de « contemplation ». Mais la perfection n'est pas un achèvement :
 
« Le Seigneur est infini et insaisissable, et les chrétiens n'osent dire qu'ils l'ont saisi, mais ils restent humbles et le cherchent jour et nuit. » « L'âme qui est vraiment amie du Christ, eût-elle fait dix mille actes de justice, se considère comme n'ayant rien fait, à cause de son insatiable désir de Dieu (...) ; malgré les divers dons de l'Esprit, les révélations et les mystères célestes, elle a conscience de n'avoir absolument rien fait, à cause de son amour sans limite et insatiable envers le Seigneur » 21.

La perfection chrétienne, telle que les plus saints peuvent l'atteindre ici-bas, nous révèle seule toutes les richesses contenues en germe dans la grâce du baptême. Elle ne peut, cependant, en manifester toutes les virtualités. Celles-ci ne se dévoileront totalement que lorsque l'hiver de cette vie sera passé et que paraîtra le printemps de la résurrection, lorsque la gloire qui brille maintenant dans le coeur des chrétiens, et que laisse parfois entrevoir la transfiguration corporelle de certains saints du désert, revêtira pleinement les corps eux-mêmes : « Ainsi glorifiés par la lumière divine et enlevés dans les deux à la rencontre du Christ, nous serons toujours avec le Seigneur, et nous régnerons avec lui dans les siècles sans fin » 22.



1. Anselme Stolz, L'ascèse chrétienne, Chevetogne, 1948, p. 145
2. Cf. Custaf Aulèn, Le triomphe du Christ, Aubier/Cerf, 1970.
3. Cf. Athanase d'Alexandrie, Vie et conduite de notre saint Père Antoine, 47
4. C'est la thèse d'André-Jean Festugière, Les moines d'Orient I, Cerf, 1961, pp. 23-25.
5. Anselm Criin, Aux prises avec le mal, Bellefontaine, 1990, p. 20.
6. Saint Antoine, Lettres, Bellefontaine 1976, pp 43-45
7. Les sentences des Pères du désert, coll «Alphabétique », Solesmes, 1981, p 15
8. Les sentences des Pères du désert III, Solesmes, 1976, p 148
9. Bellefontaine, 1984, pp. 233-234. L'origine de ces Homélies reste assez obscure au regard de la critique contemporaine, qui en rejette l'authenticité. Leur doctrine est proche de celle des Lettres de saint Antoine et de saint Ammonas, et elles ont été assez tôt considérées, en Egypte, comme une expression de la tradition macarienne du désert de Scété C'est à ce titre que nous les utilisons ici.
10. Cf. Traité pratique ou Le Moine (Cerf, 1971) et Sur les pensées (Cerf, 1998).
11. Cerf, 1965, p. 186s.

12. Op. cit., 35-36.  13. Conférences l-Vll, Cerf, 1955, p 120
14. OEuvres spirituelles, Cerf, 1963, p 259.
15. Institutions cénobitiques, p. 279
16. Conférences VIII-XVII, Cerf, 1958, p 85s
17. Cf Antoine Guillaumont, Aux origines du monachisme chrétien, Bellefontaine, 1979, pp 127s et 168s.
18. Op M, p 224
19. Sentences des Pères d'Egypte, cité par P Deseille dans L'Evangile au désert, p 194.
20. Op. cit., p. 35.
21. Les homélies spirituelles de Saint Macatre, pp 155 et 255
22. là , p. 135