C’est la première fois, en plus de cinquante ans d’existence, que Christus consacre un dossier à la « recherche scienti­fique » – thème a priori fort peu « spirituel ». Aujourd’hui, cependant, bon nombre de scientifiques chrétiens cherchent à discerner, au sein même de leurs activités, le travail de l’Esprit. Ce dossier tente à sa manière de répondre à cette attente.


Voici les premières questions qui nous sont venues : La passion de la re­cherche scientifique ouvre-t-elle à la vie de l’Esprit ? Entre des domaines aussi différents que la spiritualité et la recherche scientifique, y a-t-il des liens ? Si oui, comment travaillent-ils l’intériorité de ceux qui consacrent leur vie à la progression des connaissances ? Par quelles démarches ou rencontres, quels débats ou combats ?… En nous questionnant de la sorte, nous essayions d’esquisser peu à peu une spiritualité propre aux scientifiques mais capable d’enrichir la spiritualité de tous dans l’Église et même au-delà. En effet, par sa démarche, ses objectifs et ses résultats, la recherche scientifique contribue pour une large part à former des consciences modernes, autonomes, « adultes » dans l’approche de la réalité, dans notre façon de la regarder et de la comprendre.

Pour autant, il ne s’agissait pas d’occulter que souvent les scienti­fiques chrétiens se sentent doublement « marginaux » : d’une part, leur méthode critique les rend prudents vis-à-vis des affirmations de vérité et de foi qu’énoncent sans sourciller un nombre non négligeable de croyants ; d’un autre côté, leur propre milieu a tendance à juger a priori suspectes toute vérité révélée, et donc toute forme de croyances et de systèmes reli­gieux. Voilà pourquoi il nous a paru important de donner largement la parole aux scientifiques, même s’ils ne sont ni les seuls destinataires, ni les seuls auteurs du dossier.
Cette perspective nous semblait appeler trois parties : 1. Décrire la situation spirituelle du scientifique aujourd’hui, qui n’est plus celle de l’époque où la science se construisait contre la foi. De multiples voies de sagesse offrent une recherche de paix dans la compassion, une cohérence intérieure et une convergence harmonieuse. L’imaginaire est autrement sollicité. 2. Dans cet univers marqué par le travail en laboratoire et les impératifs méthodologiques, où et comment la vie de l’Esprit se donne-t-elle à sentir et à croître ? La joie des découvertes, la persévérance dans des démarches longues et complexes, le discernement dans des décisions délicates peu­vent-ils être autant d’occasions d’éprouver l’Écriture comme source d’une Parole de Dieu féconde ? 3. Mettre en valeur l’humilité (fruit du sens des limites et de la rigueur) et le recueillement (inhérent à la discipline men­tale). Ces deux traits, communs à la démarche scientifique et à l’ascèse traditionnelle, sont à même de tempérer tout risque de fondamentalisme.

À la réception des articles, deux déplacements au moins se sont fait jour par rapport à nos intentions premières : 1. Soucieux de rechercher des liens entre démarche scientifique et démarche spirituelle, nous avions tendance à trop cloisonner ces deux domaines. Or les auteurs montrent qu’il y a de nombreuses porosités et parentés entre ces activités. 2. Il y avait un risque à concevoir la « spiritualité du scientifique » comme trop spécifique. Les auteurs montrent aussi combien la démarche scientifique, comme toute recherche de vérité, pousse à mettre en oeuvre à tout moment son discernement, avec son intelligence, ses goûts, mais aussi son éthique et ses convictions, son sens de l’autre et de la relation, son affectivité. Démarche qui n’est rien moins qu’universelle.

Dès l’ouverture du numéro, l’on verra que si le métier de chercheur consiste à faire progresser le savoir avec toute la rigueur possible, sa démarche n’exclut pas pour autant le « croire » qui donne sens à la vie, en particulier quand les hypothèses de travail échouent et que les savoirs se transforment (P. Deterre). Vocation et profession ont tendance à s’identifier dans la recherche, et un tissu d’interactions apparaît entre les multiples richesses de l’histoire personnelle et l’itinéraire bousculé d’une carrière de chercheur. D’où l’importance d’aller aux sources de son choix initial, qui donne à la fois de mieux se connaître et de mieux connaître Dieu (C. Lefrou). L’autonomie de la démarche scientifique par rapport à la foi, clairement reconnue maintenant par l’Église, n’a jamais empêché quelques grands scientifiques de faire droit à leur « quête de sens » et d’acquérir une influence spirituelle bien au-delà des frontières du monde des sciences. Ainsi en a-t-il été de Newton, Darwin, Einstein et Teilhard de Chardin (F. Euvé). Ce dernier, en particulier, a permis à beaucoup de trouver du sens à leur foi et à leur vie dans « l’oeuvre immense de la Création ».

Nicodème est dans l’Évangile l’homme du « comment ». Il aide à discer­ner les vraies questions qui se posent aux scientifiques et aux croyants, afin de trouver une juste et paisible harmonie entre les deux approches (K. Ricard). Il n’y a donc pas à dissocier passion de connaître et volonté d’aimer. Et les neurosciences, actuellement investies des plus grandes ambitions et promesses, peuvent questionner, provoquer, mais aussi aider la vie spirituelle (B. Saintôt). Dans le même sens, on est sorti depuis quelques décennies du conflit entre biblistes et scientifiques... Encore faut-il comprendre les causes de leurs malentendus (J. Trublet). L’une d’entre elles provient de ce que le scientifique est, a priori et par méthode, peu enclin à donner du sens au réel auquel il est confronté. Cependant, la médiation du politique et de l’opinion publique l’oblige de nos jours, pour avancer dans ses recherches, à s’expliquer sur sa démarche (J. Arènes et C. Collignon). Chose particulièrement nécessaire, on le devine, lorsqu’il s’agit des essais de médicaments chez l’homme. Un discernement de tous les instants s’impose (M. Sibille).

Ainsi, le scientifique cherche-t-il à comprendre ce qui le dépasse en s’appuyant sur la raison. S’exercer à comprendre peut-il être un exercice spirituel (Y. Guéguen) ?