Matthieu Pommiers et son épouse sont commissaires nationaux des Scouts de France. Ils coordonnent la branche « louveteaux-louvettes », les 8-12 ans, qui, à elle seule, compte 25 000 enfants, encadrés par 5 000 chefs et cheftaines. Engagés depuis quatre ans dans l'animation générale du mouvement, ils sont en relation permanente avec les responsables locaux, pour les écouter et les soutenir, et pour élaborer avec eux des propositions éducatives qui répondent aux besoins d'aujourd'hui. Au coeur de ces propositions, la « promesse scoute ». S'il est un mouvement, un laboratoire d'expériences qui a réfléchi sur la pertinence de la promesse au plan éducatif, c'est bien celui-là. Aussi sommes-nous allés interroger Matthieu.


— Est-ce que le scoutisme propose toujours la promesse ?


Certainement ! La « promesse » fut, dès l'origine, le premier élément fondamental de la pédagogie du scoutisme. Et c'est toujours d'actualité, dans toutes les associations reconnues par l'Organisation mondiale du mouvement scout, et donc chez les Scouts de France. A travers les changements et les adaptations, le principe n'a jamais été remis en cause.
La promesse est prononcée par les jeunes comme par les adultes. Il n'est pas un membre des Scouts de France à qui ne soit faite la proposition de la promesse, du plus jeune louveteau au Commissaire général. Une très grande majorité y répond. Une récente enquête montre que plus de 80 % des enfants de moins de 15 ans, louveteaux et scouts, ont déjà prononcé la promesse. Chez les pionniers, après 15 ans, c'est un peu plus compliqué, l'engagement proposé étant plus fort. Chez les compagnons (17-21 ans), la proposition vient seulement à la fin de la deuxième année et débouche sur un engagement très personnel. Au niveau des chefs, où la proposition est plus globale même si elle porte d'abord sur l'acte éducatif, il s'agit davantage encore d'un engagement de vie. Cela dit, l'enquête montre que plus de 60 % des chefs ont prononcé leur engagement ou exprimé le désir de le faire.

— Qu'est-ce que l'on promet ?

La promesse, en général, porte dès l'origine sur trois devoirs : envers Dieu, envers soi-même et envers les autres. Principes que l'on retrouve encore aujourd'hui, et qui se déclinent maintenant en cinq axes de développement : on s'engage vis-à-vis des autres, de soi-même, de son corps, de Dieu et du monde en général. C'est sur ces cinq éléments que sont structurées l'ensemble des lois que chaque tranche d'âge observe à sa façon. Chez les louveteaux, c'est un texte très concret : « Etre copain avec tous, être ami du Seigneur, être sportif, être actif, être joyeux. » Et cela va jusqu'à la charte proposée aux chefs, qui s'inspire de l'encyclique Populorum Progressio et vise plus haut que ce que l'on peut proposer à des enfants.
En fait, il est difficile de distinguer la promesse de la loi : chacun s'engage envers les autres — ce que les enfants font le plus facilement : je fais partie de ce groupe, je choisis d'être scout. On leur demande ensuite d'adhérer à une loi, à une communauté de valeurs... Par contre, on a des questions venant des plus grands, qui trouvent que les propositions sont exprimées de façon trop abstraite ou trop absolue, et qui disent ne pas pouvoir s'engager là-dessus. Ils veulent savoir à quoi ils s'engagent, et les grandes déclarations ne leur semblent pas pertinentes. C'est un point sur lequel on travaille beaucoup.

— Comment cette promesse est-elle faite ? Y a-t-il un rite, une célébration ?


Effectivement, on aime les rites chez les scouts, et les chefs et cheftaines marquent fortement ce passage. C'est un moment un peu solennel où l'ensemble de l'unité est présent, où les jeunes invitent souvent l'aumônier, des membres de leur famille, des responsables... Pour certains, la promesse est quelque chose de sacré, et l'un ou l'autre aumônier propose de la prononcer dans un contexte de célébration, bien qu'elle ne soit ni un sacrement, ni un engagement à vie.
Cependant, la promesse est toujours prononcée de façon personnelle, en fonction de la date d'arrivée de chacun. Souvent, ils arrivent en début d'année, et l'on va se retrouver avec quatre ou cinq jeunes qui vont faire leur promesse en même temps. Les louveteaux veulent assez vite entrer dans un système de progression personnelle, dont la porte d'entrée est la promesse, c'est-à-dire dans les deux ou trois premiers mois. De même pour la branche scoute. Pour les pionniers, on parle plutôt de six mois. Et pour les compagnons, il y a une première adhésion, où ils disent oui à l'équipe ; mais l'engagement lui-même n'est prononcé qu'à la fin de la deuxième année, après avoir vécu un projet en équipe (par exemple, à l'étranger), et un week-end de désert. A la charte des compagnons qu'ils adoptent, ils ajoutent une béatitude, qui va donner un axe à leur troisième année, vécue comme une étape de service.

— Pour combien de temps s'engage-t-on ?

Il n'y a pas de notion de temps. On fait la promesse, et l'on recommence dès que l'on change de branche. Les principes restent les mêmes. Il est toujours demandé : 1. D'adhérer au groupe ; 2. De reconnaître une loi ; 3. De s'ouvrir à une dimension spirituelle : « Avec l'aide du Seigneur et de vous tous, je choisis de faire de mon mieux pour... » C'est un acte de foi, et c'est aussi une pédagogie. Très spontanément, les jeunes adhèrent au groupe. Ils ont plus de mal à adhérer à une loi, la trouvant parfois, comme je l'ai dit, trop compliquée ou trop absolue. Plus tard se lèvent, pour les plus grands, les questions autour de la foi.
A l'origine, Baden Powell disait : « Sur mon honneur, je promets de faire de mon mieux pour servir l'Eglise, le roi, etc. » Le Père Sevin, fondateur des Scouts de France, mort il y a juste cinquante ans, exprimait les choses ainsi : « Sur mon honneur et avec la grâce de Dieu, je m'engage à servir l'Eglise et ma patrie... » Il soulignait l'engagement, avec l'idée que ce chemin est difficilement tenable sans référence à Dieu. Et il posait bien la promesse comme la volonté très ferme d'un engagement chrétien. Cela demeure chez les Scouts de France, où l'on a gardé l'expression : « Avec l'aide du Seigneur... » On a aussi repris la formule de Baden Powell : « ... je promets de faire de mon mieux... »

— A qui est adressée cette promesse ?

Le jeune la fait à ses pairs, disant : « Je la fais devant vous et je compte sur vous pour y arriver », et il la fait devant Dieu, demandant sa grâce. Mais la question rebondit, dans la mesure où nous accueillons aussi des enfants qui viennent de milieux soit incroyants, soit musulmans. C'est pourquoi il faut être clair. Par exemple, dans nos travaux de rénovation de la proposition pédagogique pour les louveteaux, nous sommes en pleine réflexion. On essaye toujours de donner une explicitation concrète et simple de la loi : « Les louveteaux et louvettes sont amis du Seigneur ; je choisis de marcher aux côtés de Jésus. » Nous voulons une proposition explicite, mais qui ne soit pas exclusive C'est cela qui nous fait avancer aujourd'hui, même s'il y a réflexion dans le mouvement : est-ce que cet « aux côtés de Jésus » permet de cheminer en faisant place à tout le monde ? Cela dit, nous avons souhaité mentionner « Jésus », et pas seulement « ami du Seigneur », pour que la proposition soit tout à fait explicite. Mais en même temps, nous disons « aux côtés », en laissant une place à tout le monde et, de toute façon, en proposant une libre adhésion. Mais la question n'est pas close !
Quand on donne la loi à l'enfant, on met dans ses mains les buts et finalités du mouvement, et on lui demande s'il veut adhérer à ce projet. On lui donne les clés, et on le rend responsable et acteur de son propre développement. Ainsi, la promesse scoute n'est pas un engagement, comme seraient des voeux ; c'est un chemin, une perspective de vie, une expérience proposée, celle d'engager sa propre parole et sa décision pratique, afin que, demain, il soit effectivement capable de prendre des engagements à vie, en s'étant rendu compte que c'est possible

— Comment réagissent les jeunes qui viennent de milieux musulmans ?


La question se pose, mais on a peu de retour hostile quand on propose les choses clairement. Les enfants musulmans qui se présentent chez nous apprécient que l'on soit clair. Il y a des enfants musulmans dans des unités très majoritairement chrétiennes. Et il y a quelques unités, à l'inverse, à majorité musulmane, que l'on appelle « groupes mosaïques » et qui sont implantés dans des secteurs où l'on était peu présent, comme les quartiers populaires, auxquels on propose un scoutisme adapté. On est davantage critiqué lorsqu'on n'est pas proposant que lorsqu'on l'est, en permettant à chacun de cheminer dans sa foi.

— Dans la Bible, c'est d'abord Dieu qui promet : « Je serai avec toi ! » Et, en retour, l'homme promet d'être fidèle à la loi de l'Alliance. Qu'en est-il dans le scoutisme ? La promesse est-elle aussi une réponse à l'initiative divine ?

La position du Père Sevin va tout à fait dans ce sens. S'il a rajouté : « Avec la grâce de Dieu... », c'est bien qu'il la voyait première. Et cela demeure aujourd'hui. Ce qu'il faut considérer, c'est que les enfants, et bien des chefs aussi, n'en sont peut-être pas conscients. Mais l'intention du Père Sevin est bien de proposer des expériences qui vont conduire à découvrir que Dieu appelle chacun. L'intérêt du scoutisme n'est pas dans les discours théoriques, mais dans la proposition pédagogique : petit à petit, chacun, à son rythme, peut découvrir ces notions d'un appel, d'une promesse déjà donnée, d'une Alliance et d'une loi qui la fait vivre.

— Dans un monde où il est devenu difficile de promettre, comment mettez-vous en oeuvre cette pédagogie ?

L'acte éducatif repose nécessairement sur un désir et une promesse On ne peut éduquer quelqu'un qui n'a pas envie de naître, de progresser, d'avoir un projet. L'enfant n'est pas un arbre ! Je suis obligé d'avoir son adhésion au projet pour l'aider à grandir. Nous avons lancé une rénovation de la proposition pédagogique, réfléchi sur la progression personnelle, l'expression de la loi, etc. Mais personne ne remet en cause la pertinence de la promesse. Il n'est pas imaginable que quelqu'un puisse grandir sans faire une promesse On peut, certes, ne pas se reconnaître prêt à « être copain avec tous » ou réagir devant le projet en disant qu'on n'y arrivera jamais : « On me demande d'être un saint ! » Mais les doutes ne portent pas sur la nécessité de l'engagement lui-même. Nous avons à montrer aux jeunes comment peut se faire l'appropriation du projet, de l'idéal poursuivi, y compris à travers des erreurs et des échecs. Les médias mettent toujours en avant les gens qui réussissent, en gommant bien souvent tout le travail, les exigences, les reprises qu'il y a derrière De Zidane, on ne retient que les buts qu'il a marqués en Coupe du monde, et pas les efforts et les sacrifices qu'il a consentis. On ne montre pas assez la route par laquelle il faut marcher, sur laquelle on peut se tromper et se reprendre. Et, de fait, les réactions n'indiquent pas le refus de s'engager, mais le désir d'être associé au projet. En cela, ils sont plus humbles qu'on a pu l'être, nous et nos prédécesseurs.
Aussi, nous travaillons beaucoup ces questions pédagogiques : il faut, d'une part, poser une loi, laquelle est nécessaire aujourd'hui comme hier, et aller à rencontre de l'idée dans le vent que tout se négocie : le droit à la vie, au respect, etc. Ces choses s'imposent, car elles viennent « d'ailleurs », que l'on croie en Dieu ou pas. Cela nous dépasse, nous transcende Mais il faut, d'autre part, proposer des moyens pour que les jeunes puissent s'approprier le chemin et le poursuivre à leur façon. Ainsi, après avoir fait sa promesse, chaque louveteau est invité à mener une action autour des cinq articles de la loi, dans la vie de tous les jours. Ils vont d'abord éprouver ce que cela veut dire pour eux d'être copains avec tous, de marcher aux côtés de Jésus...

— Si nous sommes capables défaire une promesse, c'est-à-dire d'engager ce que nous ne sommes pas encore, c'est parce que nous sommes nous-mêmes portés par une promesse. Comment le scoutisme permet-il de le percevoir ?

Pour beaucoup de jeunes chefs, l'expérience d'un appel qui a un nom, le sentiment d'être porté par une promesse qui me dépasse, ce n'est pas bien clair. Chacun peut-il faire un lien explicite à Dieu, à l'histoire du Peuple de Dieu ? Ce n'est pas certain. Ces questions débordent la promesse et touchent à l'annonce de la foi.
L'expérimentation, certes, ne suffit pas. Il faut bien qu'à un moment les jeunes puissent mettre un nom sur l'appel qu'ils ressentent à progresser, à servir et se donner. Nous accueillons, certes, des jeunes qui, à 60 %, se disent intéressés par la question de la foi, qui pratiquent trois fois plus que leurs congénères, qui sont parfois engagés dans d'autres mouvements d'Eglise... Cela dit, on se rend compte qu'il faut annoncer Jésus Christ de différentes manières.
Il y a des jeunes qui attendent des propositions spirituelles fortes, d'autres qui ne savent rien, d'autres encore qui ont une culture religieuse familiale et se posent mille questions. Il nous faut trouver plusieurs routes pour les rejoindre, car, derrière leurs différences, tous sont en grande recherche de sens. Un jeune de 20 ou 25 ans qui vient tous les samedis travailler avec des enfants, plutôt que d'aller au ciné ou en week-end, montre bien qu'il cherche autre chose. Les 8-12 ans eux aussi sont pleins de questions et ont peu d'espace où pouvoir les poser : sitôt qu'on libère la parole, laissant place à la recherche et à l'échange, les voilà en route.

— Le scoutisme n'est-il pas comme un laboratoire social entre l'Eglise qui cherche à vivre de l'évangile et la société avec ses énormes problèmes ? En quoi la « promesse », telle qu'elle est mise en oeuvre chez vous, peut-elle inspirer les démarches éducatives d'aujourd'hui ?

Nous ne voulons pas être des donneurs de leçons. L'idée de laboratoire me plaît. Les scouts ne sont pas en mesure de dire à la société ou à l'Eglise : « Voilà ce qu'il faut faire ! » Nous avons des convictions, c'est certain. Mais, pour les mettre en pratique, on essaye, on balbutie. Convictions ? La loi et la promesse. Cela, personne aujourd'hui ne le conteste. Nous pensons nécessaire qu'il y ait à un moment donné, un acte personnel libre qui permette au jeune de dire : « Voilà ce que je veux faire, et je vais le faire avec vous » ; et nous croyons qu'il le fait précédé par l'appel de Dieu. Mais nous pensons aussi que, dans l'acte éducatif, il faut que l'enfant s'approprie les buts et finalités qu'on lui propose. Autrement, ça ne va pas. Cette adhésion lui donne une autonomie, une liberté d'agir. Elle n'est pas un conditionnement ou un frein. On le voit bien à l'école. Aussi le problème est-il dans la formulation de la loi : il faut que l'enfant adhère au projet (libre à lui de le faire ou non) mais aussi qu'il puisse poser des gestes modestes, humbles, concrets, et qu'il soit aidé à inscrire cela dans la durée.
Sur l'Eglise, c'est plus compliqué : on nous fait parfois le reproche de ne pas être assez clairs. Mais ce n'est pas parce qu'on crie plus fort que l'on croit en Jésus Christ... Dans les stages, je n'ai pas trouvé un seul jeune hostile, mais j'ai souvent entendu : « Moi, je souffre, j'ai mal, et ton Dieu d'amour et de bonheur, je n'y crois pas. » Pourtant, lorsqu'on a rejoint ces jeunes dans leurs questions, ils se mettent en route Quand les églises se vident, les gens ont peur, ils veulent des comptes : combien de baptêmes dans le scoutisme, combien de vocations ? Mais nous ne vivons pas sur ce temps-là, nous sommes dans le temps de Dieu, le temps de la patience, de l'éducation. C'est notre force et notre faiblesse Les Scouts de France restent très « missionnaires », convaincus que l'acte d'éduquer est un chemin vers Dieu pour les chefs. Ceux-ci, d'ailleurs, n'ont pas peur de se déclarer tels, de se dire responsables dans le scoutisme. Et leur motivation première, c'est de se mettre au service des jeunes. Nous nous en réjouissons, car la relation éducative est fondamentale, avant toute mise en oeuvre de moyens pédagogiques : les enfants et les jeunes avancent dans la mesure où ils peuvent s'identifier avec un aîné, partager avec un adulte qui tient debout, heureux de vivre et de croire.
(Propos recueillis par Claude Flipo)