Préf. M. Egger. Trad. A. Syméon. Cerf/Le Sel de la terre, 1998, 187 p., 95 F.

Jeune officier dans l'armée russe, Sophrony (1896-1993) faisait du camouflage sa spécialité, rendant le visible invisible ; devenu moine dans le monde, il s'ingénia chez autrui à rendre visible l'invisible. Dans l'intervalle, il avait connu une vie de peintre à Paris, vaguement syncrétiste, jusqu'au jour où Dieu se manifesta à lui. Quelques années plus tard, il abandonne l'art et les études théologiques pour rejoindre le mont Athos. Là, il fait la connaissance de Silouane dont il tire les enseignements dans un ouvrage célèbre entre tous. Après la seconde guerre mondiale il doit quitter Athos pour la France, mais il a du mal à s'y réadapter. Au bout de dix ans, il s'installe en Angleterre où sa vie d'ermite attire les foules. Le monastère qu'il fonde devient alors une passerelle d'exception entre spiritualités orientale et occidentale.
Inspiré, ce livre l'est à plus d'un titre. En décrivant les différents degrés de la prière, Sophrony démontre que quiconque s'y est engagé ne peut plus reculer, au risque d'y perdre son âme. Parler d'expérience de l'éternité n'est pas ici un vain mot. Sophrony, en effet, prie sans cesse, et cet état, surtout au mont Athos, semble lui être devenu tout aussi naturel que manger et boire. Du coup, le désespoir s'avère une bénédiction : révélateur du gouffre qui sépare l'orant de sa déification, il l'entraîne au repentir continuel. Pour un Occidental habitué à pratiquer l'examen de conscience une telle dramatisation de la vie ascétique et mystique a de quoi désorienter. Mais, si elle rend le spirituel peu sensible au quotidien, c'est pour mieux lui permettre d'intérioriser les soubresauts de l'humanité tout entière