« Le Christ m'a aimé et s'est livré pour moi » (Ga 2,20). Combien, dans l'enseignement et l'expérience de l'apôtre Paul, la passion de Jésus est présente. N'est-il pas celui qui s'est retrouvé converti en entendant cette vérité fulgurante : « Je suis Jésus, celui que tu persécutes » (Ac 9,5) ? La foi de l'Apôtre est fondée sur une expérience pascale qui ne peut faire l'économie du passage par la Croix.

L'auteur nous invite à revisiter – dans les quatre évangiles – tout ce qui concerne cet événement incontournable, depuis les annonces de la Passion jusqu'à son déroulement. L'objectif n'est pas d'en faire une synthèse qui chercherait à savoir ce qui s'est vraiment passé, mais de regarder de près le vocabulaire, les convergences, les expressions difficiles. Les contextes ecclésiaux propres à chaque évangéliste sont en arrière-fond. Albert Rouet aime « faire chanter les mots » (p. 353), en notant leurs récurrences, en faisant bouger les images, pour en ouvrir le sens, au-delà de quelques simplismes qui enferment la souffrance de Jésus dans un dolorisme qui rachèterait l'humanité devant un Dieu qui serait apaisé par cette expiation pour compte de tiers.

L'auteur montre que c'est dès les débuts de sa vie publique qu'une hostilité se manifeste contre Jésus : ses violations du sabbat, son accueil des pécheurs, ses prétentions divines, son ouverture sur l'étranger sont ressentis comme une contestation de tout un système religieux et politique. En déplaçant l'image de Dieu, c'est le fondement d'une société, avec ses prêtres, ses scribes, son Temple, qui est ébranlé. Le péché qu'il met au grand jour « consiste à préférer les apparences, une représentation de Dieu qui convienne aux appétits de celui qui les échafaude » (p. 152).

En regardant de près qui sont les acteurs (passants, Juifs, grands-prêtres, Apôtres, etc.), quels sont les objets et les lieux, quels sont les sévices subis par Jésus, le lecteur est amené à réfléchir sur sa propre foi : que veut dire que le Christ est « mort pour nos péchés » ? Comment comprendre le sang versé ? Quelle est cette nécessité à laquelle se plie Jésus ? De quoi sommes-nous sauvés ?

À celui qui penserait possible d'oublier la Passion et de ne retenir que la Résurrection dans un message optimiste apaisant, ce livre montre combien le passage par la Croix est une nécessité intérieure qui ouvre sur le cœur de Dieu, sur la vérité, et qui permet de communier à l'humanité sur son chemin vers la vie. La Résurrection n'est pas seulement l'après Passion et Mort, elle en est le cœur, la profondeur.

C'est la foi de l'auteur qui s'exprime dans ce livre. « Il y a une souffrance de la foi, dont on ne parle guère : celle de s'y montrer si timide et parfois velléitaire… La foi proclame aussi ses manques. Comment les oublierait-elle ? Elle ne s'en tourmente pas… On ne guérit pas de l'absence du Christ : c'est la blessure du côté de tout croyant. » (p. 486).