Thierry Aumonier Consultant en entreprise, chroniqueur à La Croix, Paris.
«Avant de répartir des richesses, il faut songer à les produire. La croissance est la condition de l’action sociale. » Ce type de réflexion était banal pendant la période faste que l’on a appelé « les Trente Glorieuses », de 1945 à 1975. En pleine crise économique et financière, les limites du raisonnement sautent aux yeux. Si l’on s’en tenait à ce principe, on suspendrait la solidarité au moment où elle est plus que jamais nécessaire.
Le temps du capitalisme
Durant la plus grande partie du XXe siècle, l’économique et le social auront été plus ennemis que frères. Le fait de donner la priorité à l’un ou à l’autre était source de clivages politiques et faisait de vous quelqu’un de gauche ou de droite. Le courant social du gaullisme n’a-t-il pas été appelé « gaullisme de gauche » ? Ce qui était vrai avant la Seconde Guerre mondiale l’a été plus encore après, du temps où la Guerre froide symbolisait l’affrontement de deux blocs, tenants de systèmes économiques à la fois opposés et concurrents. Entre économie planifiée et économie libérale, il fallait choisir son camp… Et si la France a enchaîné des Plans, c’étaient des plans de développement économique et social, et l’on précisait bien qu’il s’agissait d’une planification « à la française ». S’opposer au capitalisme, c’était faire le jeu du communisme ou, à tout le moins, faire du « gauchisme ». Cette défense d’un système économique avait ses vertus, et l’on a pu constater l’échec de l’économie planifiée partout où elle a été mise en oeuvre. Sa faiblesse était son caractère monolithique : celui qui ne défendait pas le système en bloc en était l’adversaire ! Depuis une époque récente, que l’on peut dater de la chute du mur de Berlin, le capitalisme a triomphé, et aucun système politique, pas même en Chine, n’a de modèle économique sérieux à lui opposer. C’est alors qu’apparaissent clairement ses faiblesses et qu’il devient plus facile de les dénoncer. Le roi est nu, et il est temps de le dire – ne serait-ce que pour que le capitalisme ne continue pas de scier la branche sur laquelle il est assis… et nous avec. Le roi est nu, parce que le système a montré ses limites, mais il l’est également de ne pas voir le dénuement de tous ceux qu’il marginalise : les pauvres de richesse, de travail, de lien social… Enfin, le primat de l’économique sur le social a correspondu à une époque économique particulière. En période de croissance soutenue, ce qui peut apparaître comme de l’égoïsme institutionnel (la croissance d’abord, les autres après) est, sinon plus défendable, du moins plus supportable. Quoi qu’il en soit, les circonstances atténuantes ne doivent pas masquer le caractère erroné du principe, pas plus que les dégâts qu’il a produits.
L’économisme, une pente glissante
De solides raisons se cumulent po...
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