Annonciation

Depuis quelques jours, tu guettes. Une trace qui ne vient pas. La couleur de la guerre, celle de la vie : le rouge sang. Il ne s'écoule pas. Dans ce silence et cette absence, ton corps te parle. Tu fais semblant de ne pas l'écouter, c'est trop tôt. D'habitude, quand on n'a plus de signe, on tremble pour la vie d'un autre, on craint sa disparition. Là, la disparition du signe évoque une apparition… « Voici que tu enfanteras un petit être humain », murmure ton corps. En toi, le connu fait place à l'inconnu, le moi au toi, le « nous » à « elle » ou « il ». Un tout petit « quelqu'un » vient renouveler ton monde – et tout ton être – le distendre, le faire éclore.

Que répondras-tu à ce Fiat Lux des origines, à ce Fiat Lux qui se chuchote dans tes ténèbres utérines et te ramène au commencement de tout, à l'alpha de l'humanité ? Que réponds-tu, jeune fille, à l'écho qui s'enfle dans tes entrailles en réponse à vos amours ? Oseras-tu te laisser illuminer de l'intérieur et entonner ton propre Fiat ?

Une expérience eucharistique

L'enfant s'enracine, s'étend et s'affirme en toi, et c'est difficile à croire, presque irréel... Un autre que toi pousse dans ton corps. L'amour accomplit ce prodige, la Vie a cette puissance : fusion et multiplication des cellules – et des personnes – renouveau, croissance, jaillissement continu.

Tu te sens à la fois dépassée et déployée. Étrange hospitalité. Le temple de ton corps a lui aussi son saint des saints, son sanctuaire intime, où les semences sacrées s'entrelacent, en secret. Tu ne maîtrises rien de cette liturgie charnelle. Amants, vous vous êtes fait ministres d'un destin qui vous surpasse et vous convoque, tout à la fois. Une vie nouvelle vous prolonge, vous récapitule, mais elle ne vous appartient pas. Déjà, tout vous échappe…

Vous vous êtes donnés dans l'amour l'un à l'autre. Mais, pour ton enfant, quelque chose de nouveau se précise : tu donnes jour après jour « ta chair et ton sang ». Ton corps se débrouille pour en faire vivre deux. Plus tard, tu l'allaiteras, peut-être de ton lait, mais aussi de tendresse, de berceuses et de mots d'amour. Tu lui tendras le sein, la main, l'oreille ; ton corps aura des accointances avec le sien… Une connivence viscérale, qui t'apprend que les humains peuvent vivre les uns dans les autres, vibrer les uns pour les autres par la chair, se donner « corps et âme ».

Et tu rends grâce, car d'autres auparavant se sont donnés pour toi.

Transcendance

Tout au-dedans, il te remue et tressaille sous tes caresses. Sa vivacité te chahute et t'émerveille. Il en prend de la place, et son poids s'alourdit, t'affaiblit. « Il faut qu'il croisse, et que je diminue… »

Vient la naissance. Vous vous sentez tout petits devant ce petit, ramenés à la petitesse de vos premiers jours. Le cycle de vie recommence et vous offre de contempler le printemps du monde, de prendre soin de l'ingénu, de vous soucier de l'insouciance, de devenir grands de responsabilité. Si désarmés devant le plus fragile. Te voilà mère, te voilà père, dans l'incrédulité : « Par quel miracle avons-nous pu, nous, mécréants, faire advenir un tel prodige ? Nous, adultes, une telle fraîcheur ! Nous, pécheurs, l'innocence ! »

Résolument, dans l'événement le plus commun du monde, « Dieu fait toutes choses nouvelles ».