
La Shoulamite1 du Cantique des cantiques exprime son amour par des mots doux qui coulent de sa bouche comme un fleuve qui remonte à sa source et se love dans son origine. Elle retrouve son lieu d'amour où elle se sent bien, le lieu qui ne la remet pas en question, un lieu rassurant où sa voix peut se faire entendre :
On lie la douceur à l'amour, mais que serait son excès ? Un amour doucereux, douce-heureux ? « Sous toute douceur charnelle un peu profonde, il y a la permanence d'un danger », écrivait Marcel Proust. Danger de perdre, danger d'aimer, « l'amour est un oiseau rebelle, que nul ne peut apprivoiser […] l'amour est enfant de Bohème, il n'a jamais, jamais connu de loi », composait Georges Bizet dans Carmen. Si les versets de la Shoulamite pour son amant évoquent en nous un écho tremblant, c'est par ce jeu de cache-cache qu'elle déploie durant toutes ses lignes, avec l'écriture, la peur de perdre, la peur de se perdre. Et pourtant le maître hassidique Rabbi Nahman de Bratslav nous dit : « Ne demande pas ton chemin à quelqu'un qui le connaît, tu risquerais de ne pas te perdre. » Se perdre est une nécessité, mais un peu, peut-être pas totalement ; lorsque l'on se perd dans une forêt, on sait où se trouvent le ciel et la terre. Comme L'homme qui marche d'Alberto Giacometti, nous sommes ce trait vertical entre deux lignes courbes que sont le ciel et la terre, hashamayim vehaaretz, créés en premier, selon le texte de la Genèse.
Nous faisons partie de ce décor qui nous dépasse. L'amour est-il enfant de Bohème ? Certes, il n'est pas contrôlable et, pourt...