Vouloir réfléchir sur la grâce, n’est-ce pas naïveté ou pure folie ? Sûrement un peu les deux. Car si le mot « grâce » abonde dans les Écritures, particulièrement dans le Nouveau Testament, et, depuis, dans les écrits spirituels – y compris dans le livret des Exercices de saint Ignace –, à chaque fois il apparaît comme une affirmation de sa réalité et de ses effets sans qu’il soit véritablement défini ni que ce qu’il recouvre soit précisé. Cette constatation ne manque pas d’intriguer.
Que mettons-nous donc sous ce mot ? S’agit-il d’une chose, ainsi que peuvent le laisser entendre les expressions, si souvent employées dans le milieu chrétien comme : « Je demande une grâce au Seigneur », « J’ai reçu une grâce de Dieu » ? Ou bien, derrière ce mot, n’y a-t-il pas une réalité d’un tout autre ordre ? C’est ce que nous avons tenté de voir en partant du chapitre intitulé : « Que votre volonté soit faite » de Notre Père qui êtes aux cieux : la prière du Seigneur de Romano Guardini 1. Y avons-nous réussi ?

Jésus, comblé de grâce
« Jésus est venu, “plein de grâce et de vérité”, comme le dit Jean, comblé de toute la plénitude de Dieu » (cf. Col 1,19), écrit Romano Guardini 2. En nous plaçant ainsi d’emblée en présence de la personne du Christ, l’auteur nous éveille à des perspectives infinies et  précieuses. Dans son évangile, en effet, Jean ne se lasse pas de dire et de redire à qui veut l’entendre combien Jésus, profondément attentif et ouvert à Dieu son Père, se recevait totalement de lui, lui laissant tout l’espace et toute la latitude de le combler de sa plénitude : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit faire au Père ; car ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement » (Jn 5,19) ; « Ce que j’ai entendu auprès de lui, c’est cela que je déclare au monde » (8,26) ; « Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, qui lui donne l’Esprit sans mesure » (3,34) ; « Je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé » (5,30).
 
Cette plénitude de grâce