La traversée des tentations de Jésus au désert nous a rendus au désir de chercher en toute chose la volonté du Père. C’est lui qui donne vie et joie en abondance, là où nous sommes tentés de céder à la séduction des fantasmes, des complaisances et des faux bonheurs.

L’Evangile du 2° dimanche de Carême nous invite à goûter l’éternité et le repos de la présence du Père dans sa Parole. Rupture dans nos vies quotidiennes fragmentées et désordonnées, cette présence si diversement sentie et recueillie, fonde  et oriente dans l’amour nos relations et notre vie commune. La transfiguration est comme la matrice de toute expérience spirituelle chrétienne, évangélique.

 

  1. A l’écart, voir et goûter. Comme les disciples choisis par lui, laisser Jésus nous emmener avec lui, dans sa parole, à l’écart des sollicitations, occupations et préoccupations, haut dans la montagne. Prendre de la hauteur, se laisser élever par lui, par sa parole, par le travail de la prière, de l’écoute en moi de ce que cette parole  éclaire : elle fait comprendre ou découvrir quelque chose de Jésus, ou de ma vie qui prend de la valeur, elle invite à aimer de manière plus juste, plus vraie…

Et alors, voir, goûter, contempler Jésus plus vivant, plus grand, plus lumineusement présent à ma vie, à celle de ma famille, de l’équipe, du groupe ou de la communauté dont je suis membre : faire l’expérience d’une présence spirituelle, intérieure, qui nourrit ma présence de priant et comble de joie.

Aujourd’hui avec nous comme hier avec Pierre, Jacques et Jean, chacun peut voir et sentir comment Jésus s’entretient avec Moïse et Elie, comment il accomplit les promesses de l’Alliance, comment il donne tout leur sens aux psaumes… Chacun peut découvrir la force de l’amour dont il est aimé : « tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Is 43, 4), et redire les paroles prononcées par Pierre 6 jours avant « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ».

 

L’Ecriture lue, proclamée, partagée, méditée devient par lui Parole goûtée et savoureuse qui éclaire la vie vraie et donne désir et courage de s’engager avec lui à aimer davantage et surtout plus juste. Quoi de plus légitime que de vouloir demeurer dans cet écart aérien et lumineux, et d’y dresser des tentes pour y rejoindre à temps compté ces voix prophétiques et sages si nourrissantes pour la foi ?

 

  1. C’est au creux de ce désir que s’entend la voix du Père, venant de plus haut encore que la montagne où elle retentit comme dans les fondements de la création, entrailles de la terre et entrailles de l’humanité « Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le ! » Le fruit de la vision, la fécondité de la prière ne consiste pas à dresser une tente idéale dans le retrait du monde pour y contempler Dieu et ses envoyés.

L’avenir, le fruit de la prière est dans l’accueil de cette présence divine en soi et dans le monde : la lumière qui éclaire et discerne, la Parole qui se fait chair et présence aimante, Dieu qui s’incarne et se révèle juste en toutes situations, viennent désormais à chacun de nous, pour faire en nous leur demeure. Vivre de la Parole ne consiste plus seulement à aller de soi vers Dieu pour trouver la lumière, mais à laisser, comme Marie, descendre jusqu’au fond des entrailles et du cœur  la Parole qui nous rejoint et nous ensemence, nous transforme mais aussi, comme Pierre ou Paul bien plus tard, nous met d’abord en silence, « en écoute ».

La « peur » et la « torpeur » qui nous saisissent comme bien des envoyés de Dieu dans le récit biblique, évoquent très concrètement cette lente germination en nous de la Parole qui nous travaille silencieusement jusqu’en nos « jointures et nos articulations », traversant notre épaisseur, nos lenteurs, nos résistances et nos peurs. Surtout celle de laisser le Christ, l’amour fait chair, prendre possession de nous et nous entraîner de l’intérieur dans sa dynamique d’amour, y réorienter notre vie comme y invite le Carême.

La peur la plus tenace (comme on le voit chez Pierre en maintes occasions, ou chez Nicodème ou Zachée), c’est celle qui retient d’entrer dans la vie de l’Esprit, la vie spirituelle. Elle fonde illusoirement le « croire » sur le « voir ». Cet Evangile, au contraire, nous fait passer du « voir » et de la recherche du « voir », à « l’écoute » qui fonde la capacité de voir ce qu’on ne voyait pas. En effet, chercher à voir Dieu me situe devant lui et me fait courir le risque de le regarder comme un objet que je décris selon mon point de « vue ». Même bien éclairé par les textes et la prière, je reste maître chez moi. Mais si sa Parole me touche et me fait descendre avec elle au plus profond de moi-même, comme le découvre Zachée, alors c’est une source de vie qui jaillit en moi, fait craquer toutes sortes de préventions et de retenues au profit d’une plus grande simplicité et d’un don de soi, d’une sortie de soi, qui change le regard porté sur Dieu, sur soi-même et les autres.

C’est la grâce que nous pourrions demander au Christ de la transfiguration, qui  relève ses disciples et les fait redescendre dans la vie ordinaire.

 

  1. La vie ordinaire, « commune » et « discrète ». C’est là, dans la vie la plus ordinaire, que la vie de Dieu se donne tout entière à la foi des hommes depuis l’avènement de Jésus-Christ. C’est là que se créent  les écarts où l’on peut faire mémoire de l’expérience d’un Christ lumineux, en cherchant avec gratitude les traces de sa présence dans le déroulement des journées, des activités, des rencontres. Cette mémoire heureuse et réconfortante est précieuse pour les moments  de doute, d’obscurité, de souffrance.

C’est là aussi que chacun peut recevoir la Parole et l’écouter longuement, personnellement ou dans la confiance et le partage d’une vie commune, fraternelle. Là peuvent s’inventer, se confirmer, s’incarner des gestes, des paroles, des attitudes évangéliques qui consacrent l’amour et ses œuvres, - la fécondité biologique et sociale, le soin, la justice – comme une victoire de la vie sur la mort, la voracité, la destruction.

La discrétion est de mise. Saint Ignace l’identifie au discernement. L’important, en effet, n’est pas l’extraordinaire, la vision ou l’extase qui n’en finit pas de séduire et de faire parler. C’est la Parole de Dieu qui nourrit la foi au quotidien et fait surgir de l’ordinaire l’extraordinaire : un geste, une parole, une liberté, un style de vie, qui parlent d’une vie plus forte que la mort, qui apprennent à aimer davantage et plus juste, qui mettent au centre de la vie et des relations la fragilité, le manque, la blessure… Des communautés aussi différentes et diverses l’Arche, Taizé, Bose, Magdala, le Mas de Carles, la diaconie  du Var, … et nombre de fraternités nouvelles ou paroissiales qui placent  l’autre, le fragile, au centre, donnent vie et crédit à la résurrection que figure la transfiguration.

 

Cet évangile peut être prié personnellement mais aussi en équipe, en groupe, sou la forme d’une « lectio divina ». Après s’être mis respectueusement en présence du Seigneur et les uns des autres, prendre le temps suffisant de lire, méditer et contempler personnellement en silence avant de partager. Puis à nouveau lire et méditer personnellement sur ce qui me touche  plus particulièrement dans ce que j’ai entendu des autres. Et conclure en invitant chacun à proposant une intention de prière ou une action de grâces.

 

Bonne semaine.