Depuis l’assemblée de Medellín, en 1968, parler des pauvres, dans la tradition théologique latino-américaine, est considéré comme un lieu herméneutique privilégié. Pour comprendre correctement cette affirmation, qui peut paraître encore surprenante à certains, il suffit de rappeler que dès le XVIe siècle, le théologien Melchor Cano (1509-1560), dans son célèbre traité sur les lieux théologiques (Loci theologici), faisait une distinction entre lieux théologiques majeurs ou fondamentaux (l’Écriture, la Tradition qui exprime le sens de la foi de l’Église interprétée par les conciles, le magistère et les théologiens) et lieux théologiques complémentaires ou dérivés (la raison naturelle, la philosophie et les événements historiques). Au cours du temps, ces lieux théologiques complémentaires ont pris de plus en plus de relief et d’épaisseur : la liturgie, l’art et les icônes, les Églises locales, les signes des temps. Et, en Amérique latine, les pauvres.
 

Mémoire d’un parcours


Il ne s’agit pas, dans le cas de l’Amérique Latine, de substituer les lieux théologiques fondamentaux aux lieux complémentaires, mais d’interpréter la foi de l’Église à partir de ce lieu herméneutique privilégié que sont les pauvres. Nous ne souhaitons pas canoniser le pauvre comme un universel négatif marxiste, mais élaborer une lecture théologique de l’Écriture. Les pauvres sont des pécheurs, comme nous tous, mais en tant qu’opprimés ils sont l’objet de l’amour et de la bienveillance divine. Le fondement de cette priorité n’est donc pas anthropologique – la sainteté du pauvre – mais théo­logique : nous nous appuyons sur le coeur tendre et compatissant du Seigneur qui ne veut pas