De tout temps, les forces de la nature, son harmonie et ses déchaînements, ont suscité fascination et terreur. « Fascinans et tremendum », c’est ainsi que le célèbre aphorisme de Rudolf Otto, théologien allemand du début du XXe siècle, en est venu à décrire le « sacré », puissance mystérieuse, désirable et redoutable à la fois, habitant l’arrière-monde de la vie et de la mort. Ce sentiment immémorial a suscité dans les religions la distinction du sacré et du profane. Le sacré (de sancire : « délimiter ») sépare et circonscrit l’espace qui relève du divin – le temple, le culte, les rites et les croyances –, pour laisser à l’homme le profane (de pre-fanum) qui se trouve devant l’enceinte, livré à son bon vouloir.
Mais aujourd’hui, la frontière entre ces deux domaines s’est radicalement déplacée sous la triple influence de la tradition biblique, du rationalisme et de la sécularisation. La Bible, en affirmant la transcendance absolue du Créateur, a interdit toute image idolâtrique de Dieu, pour professer que sa sainteté était totalement étrangère au sacré du paganisme. Le monde devenait profane, laissé à la responsabilité de l’homme, l’intendant du Créateur. La raison humaine, s’émancipant de l’obscurité des croyances, s’est ainsi développée au point de s’affirmer « maître et possesseur de la nature » et de prétendre, depuis les Lumières, libérer l’homme de son ignorance devant l’au-delà et son mystère. Enfin, la sécularisation, réduisant le champ des croyances et des pratiques religieuses à la seule subjectivité humaine, ouvre le champ profane aux miracles de la technique scientifique.

L’homme est désormais livré à sa seule providence, à son intelligence pratique, mais aussi à sa solitude devant le silence des espaces infinis. « Deux mille ans déjà,