Cet ouvrage représente une somme tout à fait considérable d'informations et de discussions concernant l'histoire et le statut de la mystique. Il se compose de deux parties. La première, « Émergences, efflorescences et résurgences de la mystique » est d'orientation plus « génétique » : elle montre que la mystique occidentale est l'addition de trois courants (théophanique ou apocalyptique, philosophique et contemplatif, ascétique et monastique), qu'elle s'affirme en quatre stades (protomystique biblique et philosophique, mystique spéculative, mystique psychologique, métamystique), elle explicite ensuite les relations entre théologie et mystique, elle critique enfin la réduction de la mystique à un discours ou à des présupposés métaphysiques, dans un certain postmodernisme. La seconde partie, « La connaissance mystique », est d'orientation plus « épistémique ». Plus touffue et difficile à suivre dans sa ligne directrice, semble-t-il, elle examine la relation entre théologie négative et théologie mystique, puis la contemplation en tant que connaissance expérimentale, enfin la perception comme composante sensorielle de la contemplation. Une centaine de pages d'annexes évoquent trois thématiques : avant tout « Politique et société », avec Charles Péguy et Henri Bergson ; mais aussi, brièvement, l'ésotérisme ; et enfin une interrogation sur la pertinence de l'expression « mystique athée ».

En réalité, comme le revendique l'auteur lui-même dans sa conclusion, chacune des deux parties prend le contre-pied d'une « opinion erronée et trompeuse » (p. 400). Selon la première de ces opinions, la mystique ne remonte pas à la période antique et médiévale mais à un moment beaucoup plus tardif, en rupture totale avec ce qui l'a précédée, au point que l'on va chercher dans « les textes dits mystiques des configurations de notre modernité, tournant autour du corps, de la maladie mentale, voire de la sexualité », une sorte de mélange de Georges Bataille et de Ludwig Wittgenstein. Selon la seconde erreur, la mystique ne porte aucune connaissance avec elle ; or, loin de relever de l'ineffable ou de l'inconnaissable, l'expérience mystique a bien affaire à l'essence de Dieu, reconnue et aimée comme telle dans un processus d'union. En d'autres termes, l'auteur refuse d'inscrire, dans cette histoire, des discontinuités radicales qui finiraient par manquer la véritable nature de la mystique ; et il conteste cette tendance à ne pas voir en elle un mode de rationalité, une inscription dans les normes de l'expérience commune. Ces deux thèses sont probablement moins originales que l'auteur ne l'affirme, mais elles ont le mérite d'être exposées et argumentées avec beaucoup de soin et d'érudition. Elles seront particulièrement utiles aujourd'hui, quand les questions de la mystique semblent trop souvent orientées par une vulgate que l'on n'ose plus guère discuter.