Les œuvres de miséricorde décrivent un mouvement de sortie de soi pour aller au-devant de l’autre « abîmé ». Or, une curieuse injonction à « supporter patiemment les personnes ennuyeuses » se glisse un peu comme par erreur dans ce paysage de la bonté. On pourrait objecter qu’il n’y a pas de commune mesure entre la noblesse du service aux démunis et l’insignifiance du simple fait de supporter. En outre, quelle idée curieuse que de mettre sur un même plan, les pauvres, les pécheurs… et les raseurs ! Le voisin de table qui monopolise la parole, nous abreuve de ses histoires et parle sans jamais rendre la politesse de son écoute, serait-il, à sa façon, un pauvre qui appelle notre charité ? Mais de quelle charité parle-t-on s’il ne s’agit pas de sortir de nous-mêmes pour porter nourritures et consolations ? Non, il ne nous est pas demandé ici de sortir mais de rentrer. Tenir notre poste et voir s’il y a en nous la place pour un autre ; ne pas quitter notre fauteuil mais au contraire nous y installer pour accueillir celui que nous voudrions fuir. Il est temps maintenant de retenir les pensées malveillantes et, après coup, la parole assassine qui, croit-on, panse l’irritation. Cette modeste « charité assise » coûte tant que nous serions tentés de l’ignorer, elle a cependant bien sa place. C’est une visite sans bouger et un don sans cadeau ; une prière dénuée de paroles. L’humble présence que nous devons à l’autre ne nous apporte pas de récompense. Goûtant la joie d’être reçu, le raseur le restera ; il ne sera peut-être pas transformé par notre présence intérieure. Nous le serons à coup sûr.

 
Marie-Caroline Bustarret