Il est des textes qui engagent dans une double opération de lecture. Pendant que la première prend connaissance et goûte les propos de l'auteur, la seconde donne au lecteur de mieux comprendre et goûter plus finement les éléments de sa propre expérience. Il en va ainsi, me semble-t-il, pour l'étude très judicieuse que conduit Tiziano Ferraroni, jésuite qui enseigne la théologie à Naples. Elle traite de la naissance du sujet devant Dieu sous l'angle de la relation qui s'établit quand l'homme est blessé, quand il est « envahi jusqu'à la déstabilisation par ce qui vient du dehors » (p. 30). La vulnérabilité n'est donc pas ici considérée comme un défaut mais positivement en tant qu'elle permet la relation et la participation à Dieu et à autrui. Sans elle, l'homme n'est pas un sujet libre mais une forteresse hermétique. Le moi autosuffisant est toujours déjà un moi mort.

La première partie de l'ouvrage analyse les approches contemporaines de la vulnérabilité, en particulier dans le cadre des philosophies de Paul Ricœur et d'Emmanuel Levinas. Elle sonde déjà les formes de consentement et de défense qui répondent à cette condition inquiétante de l'existence, mais elle conduit surtout à considérer que l'impondérable de la vie de l'homme engendre une force relationnelle qui donne d'être affecté par autrui.

S'ouvre alors l'étude des textes ignatiens : le Récit, les Exercices spirituels et enfin le Journal, les Lettres d'Ignace et les Constitutions. Dans chaque ensemble, le même mouvement se retrouve : celui de la création d'une relation d'engendrement au moment du renoncement à l'illusion de la maîtrise sur sa propre existence. L'étude du Récit décrit ce passage, opéré chez Ignace, du Dieu d'un imaginaire de toute-puissance à la connaissance effective du Dieu qui agit vraiment en lui – « quelqu'un s'occupe de lui, il peut s'occuper des autres » (p. 163). Ici, Ignace en finit avec la tyrannie de sa propre image et c'est donc ici aussi que se situe la naissance d'un sujet. Le neuf advient, il met fin aux scrupules, cette réponse subtilement stérile à la vulnérabilité.

L'étude des Exercices spirituels reprend alors le mouvement intérieur de l'expérience d'Ignace de Loyola, mais à travers le texte qui en élabore les conditions de possibilité pour autrui. Dans la relation à Dieu, au cours des Exercices, s'effectue constamment un dépassement du moi autocentré vers un soi vulnérable et la vulnérabilité devient le lieu de la rencontre. Elle constitue un moment délicat mais inévitable de l'unité des volontés entre le Créateur et la créature. Elle construit l'existence personnelle du sujet dans l'existence actuelle du Christ. La vulnérabilité est décroissance mais sans autodestruction.

On ressent à ce moment l'importance de la démarche pour aujourd'hui, quand la question se pose de nos aptitudes à cesser la prédation du monde. L'étude de Ferraroni construit une anthropologie théologique et spirituelle qui fait pressentir un chemin. Il écrit la possibilité d'une remise de soi dans une relation, sans que ce soit une négation de soi mais, au contraire, une élaboration du soi au profit d'un monde plus généreux. À ce titre, être soi dans la confiance s'avère très différent de construire un moi autoréférencé et structuré par la volonté propre. La vulnérabilité rend possible la perméabilité à ce qui vient à soi et l'aptitude à discerner les marques de Dieu qui s'écrivent dans l'Histoire.

Pour vraiment vivre, il est question donc de sortir de la constante recherche de ce qui m'est propre. « Car chacun pense qu'il avancera d'autant plus dans les choses spirituelles qu'il sortira de son amour, vouloir et intérêt propres » (Ex. sp., 139). Ferraroni considère que les Exercices donnent ici un véritable axiome de la vie spirituelle (p. 241). La conversion ne cherche pas tant à se défaire du moi parce qu'il serait mauvais qu'à considérer combien il est seul et, par là, peu vif, isolé de son Créateur par son autopréservation. Il s'agit donc de laisser agir le Créateur dans la construction d'un sujet dont la bonté est alliance et confiance et, pour cela, d'habiter la vulnérabilité comme le moment du choix entre peur et foi : la peur qui capte vers la mort ou bien la foi qui sauve.