Le mot indifférence est ambivalent. Pour saint Ignace, il désigne l'attitude de liberté intérieure devant Dieu par rapport à toutes choses, richesse ou pauvreté, considération ou mépris, santé ou maladie, etc. L'indifférence est un choix préférentiel pour le Christ, une disponibilité qui veut ne pas faire de différence entre ces choses, si ce n'est dans la mesure où elles sont une aide ou un obstacle pour progresser dans l'amour de Dieu et du prochain. Il faut chercher Dieu en toutes choses, disait-il, les prendre ou les laisser uniquement dans la mesure où elles conduisent davantage vers cette fin.
L'indifférence moderne inverse ce rapport. Nos contemporains sont fascinés par les choses, le monde et ses richesses, et surtout par le souci de soi, au point de s'être rendus indifférents aux « fins dernières ». Hier, l'homme moderne, l'homme des Lumières et de la technique, était absorbé par les fins « avant-dernières » sans pour autant perdre de vue l'horizon. Aujourd'hui, il n'y a plus même de fins avant-dernières, parce qu'il n'y a plus d'horizon. Croire ? Pourquoi pas si cela rend plus heureux ici et maintenant ! C'est à prendre ou à laisser en fonction d'un certain art de vivre et d'une sagesse pragmatique. Renversement copernicien !
Dès lors, il importe peu de croire en la résurrection ou en la réincarnation, d'affirmer le ciel ou de le nier, de donner sa foi à Jésus Christ ou à Bouddha : « Qu'est-ce que la vérité ? » Cette sorte de légèreté, de désaffection vis-à-vis des questions dernières que posent inéluctablement la vie, la mort, la souffrance et l'amour, ne va pas sans renvoyer chacun à sa propre solitude. La religion, tant qu'elle est portée par un large consensus, donne des orientations à la recherche spirituelle. Mais quand cette sorte d'enveloppe s'est déchirée, chacun doit vivre et croire à son compte, sans repères ni soutien.
C'est la première fois dans l'histoire que la foi chrétienne se trouve affrontée à ce climat d'indifférence généralisée. Voilà un défi pour la conscience croyante, un appel à l'intelligence spirituelle du moment présent, une provocation à rendre compte de l'espérance qui est en nous.