M’autoriserez-vous, ami lecteur, la seule objectivité qui vaille, celle de l’admiration, et parviendrai-je à susciter en vous curiosité et sympathie pour cette monumentale Histoire littéraire du sentiment religieux, dont la réédition 1, à près d’un siècle de distance, a de quoi intriguer ? Certes, l’abbé Bremond, dont le propos est littéraire, n’a guère souci des critères de rigueur scientifique qui ont cours aujourd’hui ; n’empêche, il a posé la pierre de fondation d’une discipline nouvelle, l’histoire de la spiritualité, à une époque où la question mystique battait son plein : les médecins et aliénistes du XIXe siècle avaient établi leur diagnostic sans complaisance ; les philosophes (Bergson, Blondel et d’autres) s’en mêlent, scrutant les capacités insoupçonnées de l’esprit et, à l’invitation des religieux (les jésuites de la Revue d’Ascétique et Mystique et du Dictionnaire de Spiritualité, les carmes des Études carmélitaines, les dominicains de La Vie spirituelle), la théologie prend part à ce débat décisif.
Il valait donc la peine qu’une équipe d’historiens vous introduisît à cet univers dûment complété et enrichi 2 et vous invitât à le (re)visiter à votre guise. Car nombreuses encore sont les raisons de le lire : vous y succomberez sans peine au « plaisir du texte » et goûterez sans modération les délices d’une verve inimitable, d’une ironie toujours vive mais jamais méchante. S’y ajoutera le plaisir d’une érudition étourdissante, prodiguée d’une plume alerte. Bref, un régal de l’esprit, mais au service de la vie intérieure — et, à ce titre, intéressant au plus près notre temps.
Il valait donc la peine qu’une équipe d’historiens vous introduisît à cet univers dûment complété et enrichi 2 et vous invitât à le (re)visiter à votre guise. Car nombreuses encore sont les raisons de le lire : vous y succomberez sans peine au « plaisir du texte » et goûterez sans modération les délices d’une verve inimitable, d’une ironie toujours vive mais jamais méchante. S’y ajoutera le plaisir d’une érudition étourdissante, prodiguée d’une plume alerte. Bref, un régal de l’esprit, mais au service de la vie intérieure — et, à ce titre, intéressant au plus près notre temps.
Un rescapé de la tourmente moderniste
Gardons-nous des anachronismes faciles et croustillants et ne faisons pas de Bremond (1865-1933) un précurseur de Vatican II 3 ! Notre abbé est un rescapé du drame moderniste, de la « Terreur noire », comme disait Blondel qui, en dépit de quelques nuages, compta parmi ses plus fidèles amis. De cette bataille, où il ne combat pas en première ligne, il se retire vers 1907-1908, non par lassitude ou lâcheté, mais parce qu’il comprend l’invincible résistance de l’institution à un renouvellement du christianisme, pourtant aussi salutaire que nécessaire, dont il avait vu avec enthousiasme les prémices heureuses dans la tentative philosophique de Blondel comme dans les travaux exégétiques de Loisy. En effet, le conformisme d’une pensée rigide (le néo-thomisme officiel) et le bricolage d’une piété routinière ne peuvent donner réponse adéquate à l’angoisse spirituelle qu’avec une admirable perspicacité et un sens pastoral très sûr il devine chez ses contemporains.
Émile Goichot († 2003), maître des études bremondiennes 4, aura pu constater paradoxalement que l’Histoire littéraire est la seule « entreprise “moderniste” qui ait réussi » et que son auteur « n’est pa...
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