En quoi la réalité spirituelle de l’exil, telle qu’elle est racontée dans la Bible et éprouvée au coeur du monde par les mystiques, vient-elle éclairer et questionner sa réalité sociale actuelle : populations déplacées ou déportées, réfugiés politiques et économiques ?
Nous nous proposons de répondre à cette question d’abord à travers différents regards sur l’exil concret : celui qu’un exilé porte sur lui-même (Gaspard-Hubert Lonsi Koko), celui d’une personne qui accompagne des exilés dans leur insertion (Guilhem Causse) et celui d’un couple qui s’est laissé déplacer par l’exil d’autrui.Dans la Bible, les voix qui parlent de l’Exil diffèrent les unes des autres. La voix prophétique considère la crise comme le début d’une nouvelle ère, un possible point de départ ou de renouveau en profondeur. La voix sacerdotale, plus conservatrice, pense que la seule façon de surmonter la crise est de mieux comprendre les origines, la création, pour fonder et légitimer les nouvelles institutions, le Temple et le culte. Mais tout un chacun est confronté à une double question : Pourquoi l’Exil ? Faut-il revenir de l’exil ? (Jean-Marie Carrière).

Ainsi, l’Écriture ouvre un discernement qui fonde la pensée sociale de l’Église et soutient l’action des chrétiens au service d’une société plus accueillante et fraternelle (Jean-Marie Faux). Contemporain du Christ, le juif Philon d’Alexandrie parcourt la Genèse comme un pays, en tous sens ; partant de la migration d’Abraham, il évoque Jacob, Moïse, Joseph, Isaac, sans souci de logique apparente, car ce qu’il recherche est caché dans le récit. Ce périple à travers l’Écriture nous remet en mémoire notre condition humaine : nous sommes des exilés, notre patrie n’est nulle part sur terre (Marie-Hélène Congourdeau).
Franchissant un pas de plus, l’auteur de l’À Diognète renchérit, en donnant au chrétien le titre de « citoyen du ciel ». En effet, si les chrétiens sont immergés dans le monde, ils témoignent, dans cette situation même, d’une autre patrie. Ils sont bien en ce sens « exilés », c’est-à-dire qu’ils se laissent d’abord conduire par le Dieu de Jésus-Christ – quitte à endurer, s’il le faut, mépris et hostilité (Michel Fédou). C’est aussi ce qu’ont enduré des personnages africains de récents romans contemporains, candidats à l’émigration par terre ou par mer, et parfois, quand ils en réchappent, candidats au retour. Il faudrait que les subsahariens n’aient d’autres raisons d’émigrer que celles de la liberté et du désir de rencontrer l’autre, dans le grand mouvement de créolisation du monde (Véronique Petetin). Très loin de ce grand mouvement, la République Centrafricaine est un pays extrêmement pauvre et déchiré par la guerre. Près de 300 000 personnes y sont touchées par les violences, parmi lesquelles 200 000 ont été déplacées à l’intérieur du pays. Basé à Ouadda, le Service Jésuite des Réfugiés (JRS) intervient depuis 2009 pour la mise sur pied d’un projet pastoral, social, éducatif… On y voit en filigrane la spiritualité de JRS dont la devise est d’accompagner, servir et défendre les plus pauvres en allant là où les autres ne peuvent aller (Luc Ruedin).

Cette devise aussi ancienne que nouvelle peut être au coeur de cette théologie et de cette spiritualité qui commencent à prendre en compte les migrants et toutes les personnes déplacées : le corps que construit l’Esprit Saint dans le Christ et pour le Christ, est un seul corps, et nous tous, fragiles membres du Christ et pourtant victorieux, sommes membres les uns des autres (Leo J. O’Donovan).