Prés. J.-M. Gueulette. Arfuyen, coll. « Carnets spirituels », 2006, 118 p., 13 euros.

Parallèlement à son activité politique, le capucin Joseph du Tremblay (1677-1638), « éminence grise » de Richelieu, participa activement à l’effervescence mystique de son temps. Il composa nombre de traités spirituels, destinés notamment à ses confrères et aux Bénédictines du Calvaire qu’il avait fondées. C’est à ces dernières qu’il proposait l’« Exercice du moment présent », auquel l’éditeur ajoute un « Exercice de l’union essentielle ».
Il s’agit de pratiques spirituelles qui ne sont pas à la portée du tout-venant, mais d’âmes contemplatives ayant déjà sérieusement désherbé leur jardin intérieur. La pratique consiste à se tourner vers Dieu pour s’unir à lui, de manière brève mais intense, comme si le moment présent, ce moment sans épaisseur et qui sans cesse échappe, devait être le dernier. La brièveté de la formule (un « clin d’oeil », écrit Joseph en écho à l’Augenblick des mystiques rhénans, qui signifie aussi « instant ») reprend la pratique des « oraisons jaculatoires », ces prières brèves et pures qui « percent le ciel », selon le Nuage d’inconnaissance, ce chef-d’oeuvre anonyme de la mystique anglaise à la fin du XIVe siècle. L’exercice est conseillé tantôt « deux ou trois fois le jour », tantôt « à chaque coup d’horloge ».
On peut reconnaître dans cette valorisation de l’instant présent une expression de la hantise toute baroque de la fuite du temps, forme privilégiée de l’« inquiétude » spirituelle qui a besoin d’être apaisée ou déracinée. On y reconnaîtra surtout la coïncidence établie par la tradition mystique entre l’instant présent et l’éternité conçue, non comme durée sans commencement ni fin, mais comme « instant éternel ». Après Fénelon, l’Abandon à la Providence divine, naguère attribué à Caussade, popularisera, au milieu du XVIIIe siècle, cette mystique de l’instant présent, moderne avatar de la Gelassenheit eckhartienne, et qui semble inspirer nos contemporains.