Ce grand petit livre peut être lu comme le testament spirituel de Philippe Mac Leod, qui nous a quittés au début de l'année 2019. Il condense une méditation de plus de vingt années sur l'évangile de Jean, qui prend pour foyer la rencontre du Christ avec la Samaritaine, mais rayonne à partir de cet épisode sur d'autres rencontres (avec la femme adultère, Nicodème…) et s'achève par une lecture du discours sur le pain de vie (Jn 6, 22-71), où l'expérience de la rencontre culmine dans l'offre du Christ de demeurer en lui, comme il demeure en nous.

Philippe Mac Leod nous propose d'ouvrir l'évangile de Jean comme un roman d'aventures : l'aventure de notre rencontre avec le Christ, avec ses risques et ses incertitudes. Il est des rencontres abouties (la Samaritaine), d'autres inachevées (Nicodème) et d'autres avortées (Pilate). Mais la rencontre capitale avec Jésus ne laisse personne indemne.

La première caractéristique de la rencontre est qu'elle met en présence deux personnes que séparent une ou plusieurs frontières. C'est quand on les franchit que la rencontre devient un lieu de vérité et de liberté. Dans l'épisode de la Samaritaine, se retrouvent face à face un homme (étranger au pays) et une femme (à la réputation douteuse), le divin et l'humain. Mais, dans l'évangile, il ne s'agit pas seulement d'apprivoiser les différences. Jésus demande à boire, à la hauteur de la nature, mais c'est pour susciter notre soif d'une eau vive qui vient de plus haut et que lui seul peut nous donner : ce « don de Dieu » que nous ne connaissons pas. Entre le puits et la source, souligne l'auteur, il y a moins une opposition qu'un approfondissement, une intériorisation : la source éveillée nous révélera à nous-mêmes, en même temps qu'elle révélera Dieu en nous.

Telle serait, pourrait-on dire, l'épure de la rencontre ; mais le parcours concret est grevé de malentendus et d'obstacles. Ni l'évangile ni son commentateur ne nous les dissimulent. La Samaritaine oppose à Jésus (comme nous le faisons) les usages, les impossibilités matérielles, son horizon culturel, avec ironie parfois. C'est pourquoi le détour est nécessaire. Pour rejoindre le désir profond de la Samaritaine, ce désir éparpillé entre ses divers partenaires masculins, Jésus, en lui parlant de sa vie, la place en un lieu où l'on ne peut plus se mentir. Comme la femme adultère, à laquelle l'auteur consacre un chapitre ultérieur, la Samaritaine sur laquelle Jésus pose son regard fait l'expérience d'une vérité qui ne juge pas mais rend libre. Jésus est dès lors reconnu comme « prophète ». Mais, interrogé sur l'endroit où il convient de rendre un culte à Dieu, il le déplace pour le situer là où il nous engage vraiment : en nous.

Toutes les œuvres de Philippe Mac Leod, ses poèmes comme ses ouvrages de réflexion spirituelle, nous invitent à prendre ce chemin : celui qui nous conduit à l'intérieur. Le passage du dehors au dedans est aussi celui qui nous mène de l'ancien au nouveau ; du culte extérieur, où Dieu est encore un vis-à-vis devant lequel on se tient, à la capacité qui nous est offerte de vivre avec Dieu, de vivre en Dieu. Le Christ en personne constitue cette révolution, incarne ce culte « en esprit et en vérité ».

Le dernier chapitre achève ce parcours par une méditation essentielle sur le mystère du Christ, à partir du discours où il parle du pain de vie. L'enjeu radical de ce discours, qui provoquera la plus grave défection parmi ses disciples, est encore une fois de nous faire passer d'une relation extérieure avec le Christ à une intimité qui nous transforme. « Celui qui me mange vivra par moi », dit Jésus à ses auditeurs : là est le pas décisif pour ceux qui accepteront de continuer à le suivre.