Une fois de plus, Anne-Marie Pelletier s'empare avec la finesse qu'on lui connaît d'un sujet qui travaille un peu plus les esprits en ces temps de tempête ecclésiale : la place des femmes dans l'Église. Dès le titre, l'auteure donne le ton : l'Église ce sont des femmes et des hommes ; il ne s'agit donc pas de produire un pamphlet militant visant à éliminer les hommes du paysage, comme les femmes l'ont été. Non, le propos de la théologienne est de rappeler que le salut se joue dans un juste rapport entre femme et homme au sein du peuple de Dieu. C'est la promesse de la Création. C'est une question, pourrait-on dire, de vie ou de mort : choisissons la vie ! Or, nous rappelle l'auteure, notre société ecclésiale, marquée d'un androcentrisme et d'un machisme malheureusement universellement partagés (toutes les cultures, toutes les religions, de tout temps) a oublié l'impérieuse nécessité de faire entendre à parts égales les deux voix de l'humanité. Anne-Marie Pelletier ne cherche pas à réparer des torts, elle ne parle pas par souci militant d'égalité mais tout simplement parce qu'elle désire rappeler la vie promise dans le dessein créateur, énoncé dès la Genèse. Le livre commence par une courte traversée de l'histoire du discours magistériel sur les femmes. L'auteure constate une évolution au XXsiècle, signe de bonne volonté (?), mais elle déplore le maintien et parfois même l'inflation d'un discours sublimant « l'éternel féminin ». Même si « la célébration verbale des femmes n'a cessé de s'imposer comme un thème du discours magistériel », l'auteure fait le constat du malaise largement partagé par de nombreuses femmes devant cette célébration des femmes qui tourne à vide, dans la mesure où elle semble trop souvent servir de « paravent à l'exercice clérical d'un pouvoir masculin qui [reste] sans partage ». La Bible fait également l'objet de l'analyse d'Anne-Marie Pelletier qui souligne la puissance de subversion des Écritures. Porteuse elle aussi d'une parole masculine, puisqu'elle « enregistre l'ordre patriarcal » malgré tout, la Bible « n'empêche pourtant pas le féminin d'y exister autrement, de trouver son passage dans une réalité qui lui est a priori défavorable, voire hostile ».

L'auteure montre comment l'organisation ecclésiale est le fruit de nombreuses contingences historiques, politiques et autres. Quoi qu'on en dise, l'éternelle et sainte théologie est marquée « de débats religieux charriant plus d'une fois passions et fureurs ». Un des effets d'une telle organisation hiérarchique est l'effacement progressif du sacerdoce baptismal commun, celui qui donne accès à la plénitude de la vie chrétienne, au profit du sacerdoce ministériel, alors que le dernier devrait être au service du premier. La crise actuelle de l'Église, l'horizon de cet essai, appelle à repenser l'articulation des deux sacerdoces. Or, la femme qui, par nature, ne peut être revêtue que du seul sacerdoce baptismal affirme, en son essence et sur un mode radical, la suréminence de ce sacerdoce. Pour que ce rappel soit effectif, il faut que des hommes consentent à « se connaître en passant par les femmes » et donc aussi à écouter la voix singulière de celles-ci dans l'Église. Des voix féminines ont résonné et continuent aujourd'hui à le faire. Anne-Marie Pelletier nous apporte l'écho de quelques-unes d'entre elles et laisse percevoir le bénéfice inouï pour la transmission de l'Évangile que l'Église tirerait à accepter enfin de marcher fermement et résolument sur ses deux pieds.