«À son ami de jeunesse Giuseppe Raimondi, Morandi a confié un jour, à propos de Pascal, ceci : “Dire qu’il n’était qu’un mathématicien. Il avait foi en la géométrie. Mais crois-tu que ce soit peu de chose ? Avec la mathématique, avec la géométrie, on explique presque tout. Presque tout.” » Philippe Jaccottet, qui rapporte ce mot du peintre, le commente ainsi : « Dans le “presque” il y a le battement même de notre vie, l’incertitude et l’élan du coeur… » 1. C’est ce « presque » dont il va être ici question.
Il permet de distinguer deux manières de se rapporter au monde qui, aujourd’hui comme jamais, accusent leur différence. On peut en effet vouloir opérer sur les choses et sur les personnes, vouloir connaître pour dominer et transformer. Ainsi, les sciences et les techniques dans leur pratique et leur discours mettent chaque jour le monde à distance et, grâce à cette objectivation, en font un champ d’investigation et d’exploitation. Quelque chose pourtant échappe à leur pouvoir et se dérobe à leur intelligence, ce « presque » qui, tel un gravillon dans un soulier, suffit à rendre leur marche malaisée. Heureux aiguillon cependant, car ce « presque » qui échappe et se dérobe laisse entrevoir une autre manière de se rapporter au monde. À l’opposé d’une mise à distance soucieuse d’objectiver le monde pour le connaître et le transformer, on peut en effet chercher une mise en présence qui ouvre à l’événement de sa rencontre. Cette ouverture inaugure « une autre façon de compter, de peser, une autre mesure du réel dans le rapport qui se crée avec lui dès lors qu’il nous devient, en quelque manière et pour quelque part que ce soit, intérieur » 2. Les oeuvres d’art authentiques offrent une telle ouverture et par là touchent au fondement de notre manière d’habiter le monde et de nous y rapporter. Peut-on dès lors y reconnaître les traces d’une voie spirituelle et plus précisément une voie d’accès au coeur de la foi ? Ou encore peut-on