Ce livre de 236 pages, dont l'écriture de grande taille aide la lecture, se compose de deux parties. D'une part, l'édition intégrale d'une communication faite à Rome en 1989 par Christian de Chergé sur le thème : « Chrétiens et musulmans, pour un projet commun de société » (pp. 1-105). Et, d'autre part, le commentaire qu'en donne Christian Salenson (pp. 106-230), qui éclaire et souligne remarquablement la vision à la fois originale et prophétique de Christian de Chergé. Chacun des trois points de la conférence vient nourrir et déplacer le désir spirituel qui creuse en nous la place de l'autre, le différent, autrement croyant et autrement priant. Ce n'est pas tant le débat théologique et interreligieux entre experts qui aidera à progresser dans la compréhension et le rapprochement réciproques que le « dialogue existentiel » quotidien qui naît du vivre-ensemble, comme à Tibhirine, et qui provoque « une transformation dépouillante », comme put l'être celle d'Abraham ou de la Pâque. Elle invite le chrétien à contempler en Jésus Christ « le grand sacrement de l'espérance » toujours plus grand que l'image que nous en avons, « dissimulé aux yeux du monde par la nuée du Mystère divin et par le voile de l'Incarnation continuée », le Seigneur du terme de l'histoire qu'évoque le concile Vatican II (Gaudium et spes, 45, 2). Les deux fidélités chrétienne et musulmane contribuent ainsi à l'accomplissement et au dévoilement de l'Incarnation du Dieu d'amour, présent dans ces deux manières de croire. C'est le sens de cette échelle mystique du dialogue que développe le deuxième point. Cette échelle évoque celle de Jacob qui y fait l'expérience forte et charnelle d'un Dieu qui l'aime et se communique à lui. Aujourd'hui, nous sommes deux à monter sur cette échelle dont les montants, nos fidélités respectives, ancrés dans la terre et ses misères, demeurent parallèles et ne se rejoignent que dans la lumière de Dieu, au terme de l'Histoire. Mais chaque geste d'amour fraternel, comme le montre le troisième point de la conférence, vient tisser la communauté des saints qui s'enfante dans la douleur et donne vie et mouvement à l'échelle sur laquelle « montent et descendent les anges de Dieu » depuis l'expérience de Jacob.

Cette vision eschatologique de la relation avec l'islam donne une force considérable à la présence réciproque et au développement d'un vivre-ensemble : tout ce qui ouvre et nourrit la relation à l'autre donne réalité à l'espérance qui la fonde, quels que soient les obstacles et les violences qui la refusent. Car, pour les chrétiens, cette force est celle de la Résurrection, au lieu même de la Croix. Une lecture spirituelle dont les événements les plus récents soulignent l'actualité et la nécessité.