
Il y a de l'arbre en pleine mer dans ce livre, un parfum d'impossible douceur au pays « où s'essoufflent l'acide et l'effroi », mais aussi un désir de loin. L'arbre dit tant de celui qui le regarde. Pas seulement l'arbre dont la cantilène fut reprise, d'Émile Verhaeren à Robert Desnos qui lui faisait boire du vin, par celui qui sent que rien n'est grand comme ce ciel porté, mais aussi cette créature de flamme future dont l'encramponnement claudélien dans la terre et au fond de la chair se sent capable de tout, y compris de porter le monde dont il surgit. La folle et multicolore liberté perd parfois l'homme, et c'est une contemplation terrible : « Le monde au monde se vend par brassées de misères », écrit l'auteur comme du fond de l'océan, percevant la masse énorme d'êtres et de mots comme étrangère. Lui, le poète, ne s'y fixe pas, il ne le peut pas, il la traverse mais n'en triomphe jamais, contrairement aux apparences, parce que ce sont les pauvres qui manquent à leur pauvreté, et qu'il est de ceux-là qui savent qu'ils perdent tout à la fin. Claude Tuduri ne choisit pas telle ou telle branche, telle feuille, il ne retient rien, il se fait voix plurielle. Sa poésie, sensible aux voix populaires, aux jeux de langage – « tongs et diphtongues », « brumaille » –, aux contorsions de la réalité moderne, comme à la belle nécessité, à des simplicités magiques – « Tu ouvres la porte et c'est la mer », « La vie s'ouvre à son discret aval » –, semble guidée par la proximité de la mort. Sinon, comment entendre ce sursaut extrême ? Tout ici se galvanise puis s'effondre, rompt avec une partie de soi qui avive « la glisse occulte du caquet », puis part au désert connaître le « gémissement de l'Esprit perdu d'avance », de ce « Dieu qui préféra l'homme aux sphinx muets et froids ». À cette soif irrépressible d'embrasser le vif, le poète répond par ses titres sortis d'une vie quotidienne, simple, par une attention remarquable à la qualité de la lumière : ses éclipses, son argent, ses bleus. Toujours l'image revient, trop extérieure, jusqu'à devenir maudite, provoquant le cri : « ô l'œil, suspends ta traque », dans l'espoir de se dire un jour : « le voici vaincu, le petit vautour voyeuriste ». Et il peut, en effet, voir les « cieux défaillants », comme l'enfant, « petits pas sur la neige, Vivant ton premier déluge »… Ainsi est rendue une innocence dont la voix est notre plus grand trouble : « Quelle gerbe de bénédictions dans ce retrait par où les choses tremblent et palpitent de la primeur de toute adoration ! »