Directeur de Christus depuis 1962, François Roustang (1923-2016) prit congé de l'ordre jésuite et de la foi chrétienne en 1966, à la suite d'une chronique de quelques pages qui ne cassait pas trois pattes à un canard, mais avait suscité l'ire du pape Paul VI et, conséquemment, la panique dans les rangs de la hiérarchie. Roustang s'était borné à constater qu'en plus du ravi de Vatican II et du nostalgique de l'ordre chrétien, il fallait désormais compter avec un « troisième homme », absentéiste de plus en plus fréquemment mais peu porté à se manifester, un individu aux yeux de qui la foi chrétienne avait perdu toute pertinence, parce qu'elle ne parlait plus à sa condition d'homme moderne.

L'affaire et l'enjeu du « troisième homme » ont fait l'objet, voilà quatre ans, d'un livre publié à l'initiative d'Ève-Alice, fille de François Roustang. Remi de Maindreville en a rendu compte dans Christus (n° 262, avril 2019, pp. 114-115). Voici que paraît, toujours chez Odile Jacob, un recueil, non exhaustif mais suggestif, d'articles, de conférences et d'interviews balisant l'itinéraire ultérieur de ce marcheur infatigable, mais apparemment jamais blessé, lui, que fut Roustang. Car d'autres ruptures, on le sait, ont marqué son chemin. Sa psychanalyse, entamée en 1963 avec Serge Leclaire (1924-1994), avait provoqué l'« effondrement » de son monde religieux. Mais son inaptitude foncière à « croire à une institution » (p. 31) et à chasser en meute le conduisit à rompre également avec l'École freudienne de Lacan puis, vers 1980, avec la psychanalyse freudienne pour se tourner – régression sacrilège aux yeux de la stricte observance – vers l'hypnose.

Cet ouvrage offre donc une suite au « moment » analysé dans le livre précédent. Il fournit des jalons pour mieux comprendre l'enchaînement des ouvrages publiés de son vivant par Roustang. C'est une suite écrite par Roustang lui-même, mais à son insu pour ainsi dire, sans souci d'exhaustivité, ni projet apologétique : ces « dits et écrits » ont été réunis par sa fille, des amis psychothérapeutes et le philosophe Claude Romano. En ouverture, une simple note autobiographique de quatre pages, purement événementielle. Roustang s'explique davantage, au fil de la chronologie des textes, dans quatre interviews lumineuses accordées à Emmanuel Soutrenon.

Le recueil s'ouvre sur deux articles publiés dans Christus en 1964 : « Aider le prochain » et « La rencontre des autres ». Il s'achève par une note inédite sur « Socrate, chamane et philosophe ». Les titres sont suggestifs. Ce qui se dégage de cet ensemble, c'est l'évidence d'une forte continuité dans la sinuosité du chemin. Le titre donné au recueil l'exprime on ne peut mieux. Un homme en incessante quête de liberté, pour lui-même d'abord, pour ceux ensuite à qui il avait été d'abord envoyé comme jésuite, puis pour ceux qui vinrent à lui comme thérapeute : telle est l'image de Roustang qu'emporte le lecteur. Ce goût de la liberté et cette ardeur à la poursuivre, il ne cache pas qu'il les a trouvés d'abord dans les Exercices spirituels de saint Ignace. Conçus pour permettre à qui le souhaite de donner à sa vie une orientation aussi librement choisie que possible, ils lui ont donné le courage et le goût des engagements et des ruptures qui ont marqué sa vie.

C'est la même « passion pour l'accès à l'autre » et la même aptitude à « créer les conditions d'un changement » (p. 337) qui l'ont conduit à la pratique de la psychanalyse puis à celle de l'hypnose, pratiquée et théorisée de façon de plus en plus personnelle. Même si le non-initié peine à la lecture de certains articles, il croit entrevoir les raisons pour lesquelles la théorie freudienne du psychisme, dans sa prétention à la systématicité et à la scientificité, est apparue à Roustang comme un insupportable carcan, les raisons aussi pour lesquelles il s'est tourné vers l'hypnothérapie. Son analyse du transfert et du pouvoir de suggestion lié de toute manière à la position de thérapeute l'a conduit à assumer résolument la posture « interventionniste » qui suggère à la personne en souffrance la manière libératrice d'assumer son symptôme. La « transe » alors partagée par l'hypnothérapeute et son vis-à-vis suppose chez le premier une forme de liberté, d'abnégation, d'« ascèse », un état de « nudité », voire d'« indifférence » (p. 562). Ce vocabulaire ainsi que l'importance reconnue au corps et à la posture corporelle lors de la relation thérapeutique ne peuvent pas ne pas rappeler ce qu'on peut lire non seulement chez Ignace de Loyola mais aussi dans le meilleur de la tradition spirituelle occidentale. Roustang revendique la bienfaisance du « nettoyage » qu'a opéré en lui la fréquentation de la tradition chinoise, aux antipodes du dualisme néoplatonicien. Mais on lui sait gré d'avoir souligné l'apport de l'expérience ignatienne à la cause de la liberté.