Martin Steffens nous offre ici une somptueuse méditation sur l'amour. Mais la puissance de cet essai et sa radicalité viennent du chemin de traverse, boueux et inattendu, qu'il fait prendre à son lecteur : celui qui part des bas-fonds de la pornographie pour en autopsier, sans jugement ni moralisme, tout ce qu'elle blesse et humilie de la part d'enfance et d'innocence qui est en nous. C'est le lieu sacré du royaume de Dieu. Parce qu'il prend l'amour tellement au sérieux, le philosophe aborde frontalement celle qui est son singe macabre : la pornographie. Elle doit être prise au sérieux, face à l'amour, précisément à cause de la part de vrai qu'elle porte en elle. Ne promet-elle pas, tel le serpent de Genèse 2, des « plaisirs éternels », « faux biens » qui attisent nos mains, nos yeux et nos cœurs trop pressés de consommer, de prendre et de voir ? Et le terreau sur lequel elle prolifère n'est-il pas « nos regards captifs, sidérés, impatients de jouir des choses comme des gens, pressés d'en finir, de passer à autre chose » ? Dans ce système de transparence et de « tout, tout de suite », il n'y a pas de place pour la patience, les balbutiements ni les préliminaires. Les enfants quittent leurs écrans avec les yeux crevés d'avoir vu. Alors il faut guérir ces regards qui ont trop vu. Tel est le souci de Martin Steffens : guérir en remettant la pornographie à sa place, celle du purin qu'il faut mettre à l'écart, laisser décanter et retravailler pour qu'il ne brûle pas tout le reste et surtout pas l'amour, le vrai. Le résultat est plein d'espérance et l'on retrouve l'intuition d'Ignace de Loyola qui fait parcourir le même itinéraire en première semaine, avec la méditation sur l'enfer. Sans ce passage coûteux, comment découvrir qu'on est aimé de Dieu, malgré tout ? « Que se passe-t-il quand les yeux blessés deviennent des yeux levés ? » Tel est l'espérance de cet ouvrage.