La vérité est-elle encore la bienvenue dans notre monde 1 ? À première vue, il semble que l'on s'efforce de la faire au maximum, à tous les niveaux. Tout en haut, une armée de chercheurs s'efforce de lire le grand livre de la nature, à la poursuite de ses ultimes secrets. Jamais une société n'a consacré une aussi grande partie de ses ressources à la recherche du vrai. Tout en bas, journalistes et hommes des médias promettent de « faire toute la vérité » sur la vie privée de tel ou tel politicien, sportif, ou vedette. La télévision prétend nous faire voir la réalité de plus en plus vite, « en temps réel », nous mener de plus en plus profond au-delà des frontières de la vie privée. Un public nombreux se passionne pour les vulgarisations des premiers. Un autre, plus nombreux encore, se vautre dans les crasseuses révélations des seconds.
Et pourtant ? Est-ce bien la vérité qui nous intéresse ? Ne parlons pas des montreurs médiatiques. À supposer que ce qu'ils prétendent dévoiler tel quel ne soit pas pur montage, ce qu'ils nous montrent ou nous montent est-il de l'ordre de la vérité ?
Les scientifiques, de leur côté, invoquent parfois la vérité avec emphase quand ils s'adressent à d'autres qu'eux-mêmes, que ce soient leurs commanditaires qui attendent un retour sur leurs investissements ou le public des ouvrages ou émissions de vulgarisation, qui veut qu'on l'épate. Ils en parlent beaucoup moins souvent quand ils réfléchissent pour leurs collègues. Il suffit de dire qu'une hypothèse est confirmée, ou en tout cas pas encore infirmée, par l'expérience, qu'une théorie « marche » jusqu'à nouvel ordre. Les acquisitions de la recherche sont contrôlables par la communauté scientifique. Leurs applications technologiques fonctionnent et livrent des résultats dont on peut constater l'efficacité. Mais dire qu'un résultat scientifiquement avéré est « vrai », cela semble une redondance inutile.

La vérité suspecte


Peut-être cette prétention à la vérité serait-elle même pire qu'inutile, dangereuse. Dans la rhétorique contemporaine du « dialogue » médiatique, peu d'arguments font aussi mal à l'adversaire que celui qu'on lui lance avec une vertueuse indignation, qu'il prétend posséder la vérité. Le scandale est curieusement encore plus grand lorsque celui qui donne cette impression est dépourvu de toute division blindée et ne s'appuie que sur sa seule autorité pour « nous asséner la vérité dans toute sa splendeur ».
Ce qui éveille le soupçon est d'abord l'usage qu'on a fait de la vérité. Prétendre en être le détenteur est insupportable. On fait valoir que certains tyrans du passé ont voulu se targuer de leur possession de la vérité. L'idéologie nazie ou marxiste-léniniste prétendait reposer sur une théorie scientifique, biologique ou économico-sociale « La théorie de Marx est toute-puissante parce qu'elle est vraie », écrivait Lénine 2. Avoir pour organe de presse officiel un quotidien intitulé la Pravda éta...
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