La Correspondance entre l'abbé Huvelin et Charles de Foucauld nous révèle, en particulier dans ses détails, l'histoire de la vocation du père de Foucauld1. Le document nous parvient en assez bon état, malgré la perte inévitable d'un certain nombre de lettres. Les circonstances, comme la valeur des deux partenaires, donnent à ce dialogue à distance un grand prix : pendant vingt ans, à part de rares rencontres, les deux hommes se trouvent séparés par plusieurs milliers de kilomètres. L'un compte sans doute parmi les meilleurs directeurs spirituels du XIXsiècle2. L'autre est le converti que l'on sait, douloureusement en quête de la vocation extraordinaire que Dieu lui réserve. Et leur correspondance nous a gardé, comme enregistrée, toute la démarche spirituelle qui conduisit le trappiste de Notre-Dame-des-neiges aux ermitages du Sahara : itinéraire tâtonnant, où directeur et dirigé se livrent parfois une lutte fervente dans l'interprétation des mouvements spirituels, jusqu'à ce que la volonté de Dieu se manifeste, indubitable.

Mais cette suite d'événements et de « recommencements », à première vue décousus, recouvre en fait les étapes d'une progression régulière vers le parfait épanouissement de la vocation de Charles de Foucauld : car ces années ont leur rythme et leur logique. À chaque moment, le discernement s'opère au cours d'un dialogue, qui doit faire surgir entre les deux hommes l'évidence du vouloir divin. Dans des circonstances toujours nouvelles, se dégagent enfin des constantes du discernement spirituel, dont l'enseignement rejoint la grande tradition des maîtres spirituels3.

La fécondité du temps

En octobre 1886, le converti de Saint-Augustin a vingt-huit ans. Il lui reste, jusqu'à 1916, trente ans de vie. Il lui faudra la moitié de ce temps pour parvenir simplement à « trouver » sa vocation et à s'installer, jeune prêtre, dans son ermitage de Beni-Abbès, entre 1886 et 1901.

Pour nous qui pouvons jeter un regard rétrospectif sur cette durée et la juger à la lumière de ses aboutissements, elle apparaît structurée par trois décisions majeures, par trois « élections », puisque ce terme appartient au vocabulaire spirituel du père de Foucauld. Chacune de ces élections se traduit à la fois par une rupture visible d'orientation et un progrès dans la réalisation de la vocation entrevue, et chacune recueille le fruit des mouvements de la période qui l'a précédée. Trois étapes se dégagent ainsi :

Octobre 1886 à janvier 1890 : de la conversion à l'entrée à la Trappe ;

1890 à