Ed. et introd. D. Salin. Desclée de Brouwer, coll. « Christus », 2005,202 p., 16,50 €.

L'histoire de L'abandon à la Providence divine, composé dans un milieu religieux fortement marqué par cette mystique laïque qu'était Madame Guyon, est extraordinaire Le P. Dominique Salin, jésuite, historien de la spiritualité et collaborateur assidu de Christus, en raconte avec brio, dans son introduction, les multiples péripéties. Comment cet ouvrage du début du XVIIe siècle, écrit juste après la rupture entre Bossuet et Fénelon qui scellera la fin du lien entre mystique et théologie, a-t-il pu connaître un succès jamais démenti depuis sa parution à la fin du XIXe siècle ? D'abord, le style de L'Abandon est résolument moderne et en parfaite adéquation avec son propos : on y voit précisément à l'oeuvre l'abandon au moment présent constamment renouvelé, presque chaque paragraphe résumant à lui seul tout le livre. Après une première affirmation, l'auteur a coutume de laisser sa phrase s'écouler en de longues périodes, comme s'il l'abandonnait à l'inspiration divine Par instants toutefois, l'insaisissable semble se laisser saisir, et la phrase alors s'écourte, se densifie.
Surtout, la perception de Dieu, telle que la propose ce petit livre, est très actuelle. L'auteur valorise la prévenance du Père à l'égard de l'homme qui n'a rien à craindre d'un quelconque châtiment divin . mieux vaut suivre l'exemple de la Sainte Famille dépendante du bon plaisir divin Sans doute, cinquante ans auparavant, aurait-on davantage mis en avant l'exemple du Christ.
Déjà perceptible chez Madame Guyon, l'effacement du Christ comme médiateur, et a fortiori de l'Eglise, est ici extrême, comme chez nombre de nos contemporains. A partir de là, l'auteur n'emploie le terme d'abandon qu'avec circonspection, car lui aussi est devenu suspect. C'est pourquoi il ne l'applique pour l'essentiel qu'à propos de la moins suspecte des créatures : Marie. C'est à travers les mots du Magnificat que Jésus parle avec le plus d'aisance ; c'est par les seuls yeux de Marie que nous voyons Jésus dans la crèche et sur la croix, etc L'expérience intime de l'Esprit Saint, acquise comme à l'aveugle par ces saints cachés que sont, à l'image de Marie, les âmes les plus simples « sanctifie et surnaturalise » les temps que nous vivons. Ainsi, ces âmes complètent l'Ecriture sainte à travers « un livre de vie » où sont inscrits les plus beaux silences de l'humanité, pour peu qu'ils relèvent de l'ordre de Dieu, d'un « déjà là » qui ne souffre plus de « pas encore ».
On devine aisément pourquoi un Charles de Foucauld et toute une foule de chrétiens anonymes depuis plus d'un siècle ont marqué la lecture de cet ouvrage d'une pierre blanche. Christus est heureuse d'en offrir une nouvelle édition entièrement refondue.