Trad. L. David. Lessius, coll. « Le livre et le rouleau », 2010, 300 p., 24,50 €. 

Ce livre n’a pas eu encore en France le retentissement qu’il mérite. On peut pourtant, toute proportion gardée, le considérer comme une sorte d’« imitation de Jésus-Christ » pour notre temps. Se tenant à l’écart de l’abstraction, comme jadis Thomas a Kempis, il analyse, de façon très méthodique et pédagogique, ce qu’est l’identité chrétienne, en mettant l’accent sur la question : « Comment être disciple du Christ aujourd’hui ? », et en proposant une approche phénoménologique de la vocation chrétienne. Fortement ancrée dans la culture américaine, la démarche pragmatique de l’auteur s’appuie sur des études de cas concrets ou sur des anecdotes personnelles. Il privilégie en effet une approche globale, prenant en compte la totalité de la personne dans des situations données, dans des contextes particuliers, qu’il s’agisse de paroisses ou d’entreprises. L’apport théorique le plus original est sans doute l’importance accordée à l’imagination analogique, à laquelle est consacré un chapitre, mais qui sert en fait de fil conducteur à l’ensemble de la réflexion. Très inspiré par la spiritualité ignatienne, ce théologien, mort en 2005, s’inscrit dans un courant de pensée qui s’est développé aux États-Unis dans les années 1980 et s’attache à réhabiliter l’imagination. Il la définit comme la capacité de mettre en relation des aspects concrets et généraux de l’expérience humaine. L’imagination analogique, notion empruntée à la poésie (pensons aux correspondances baudelairiennes) et ici adaptée à la vie morale et spirituelle, repère des analogies, donc à la fois des similarités et des différences, et les exploite de manière inventive. Imiter le Christ, c’est mettre en oeuvre imagination et discernement pour découvrir de nouveaux modes d’agir, fidèles à son enseignement et à son histoire, et pratiquer ainsi une « extension créative ». Il s’agit donc de déceler dans les textes évangéliques, mais aussi dans les épîtres de saint Paul auquel Spohn fait de nombreuses références, des paradigmes, ou des « prototypes souples », susceptibles de fonder une éthique chrétienne des vertus. Les pratiques spirituelles, pour leur part, reposent sur une identification imaginative avec « l’universel concret » de l’histoire de Jésus. Cette identification engage le chrétien dans une relation transformatrice avec le Christ, en réponse à l’appel de Dieu tel qu’il peut l’éprouver dans les mouvements d’un coeur réorienté par l’Évangile. William C. Spohn, réfutant certaines tendances de la spiritualité actuelle qui veulent se situer hors de l’institution reli- gieuse, parvient à une conciliation entre fidélité à une parole de vie et créativité. Il apporte ainsi un éclairage intéressant sur la signification de l’identité chrétienne dans le monde moderne et invite à une réflexion sur ses rapports avec la liberté.