Alors que s'éteignait le père jésuite Saint-Jure (1588-1657) et que s'imprimaient ses derniers ouvrages, Pascal soulevait l'indignation contre les jésuites par ses Provinciales. L'acharnement du polémiste se prolongea encore un an ou deux, puis se calma quelque peu. Il continua cependant à enrichir son arsenal, et, sur une page qu'on peut dater de 1657 ou 1658, il jeta l'un à côté de l'autre Escobar et Saint-Jure 1. Dans ce rapprochement, il faut assurément voir une opposition, même si, n'en déplaise à Pascal, le casuiste jésuite espagnol Escobar ressemblait à Saint-Jure par la sainteté de sa vie. Quoi qu'il en soit, il est clair que, pour l'auteur du rapprochement, Saint-Jure — dont il avait apprécié la Vie de Monsieur de Renty — représentait un type de jésuite et une doctrine spirituelle fort différents de la caricature des Provinciales. Cette note de Pascal n'est qu'un instantané, mais, selon l'historien jésuite Georges Bottereau, elle situe bien le débat à son vrai niveau en nous poussant à nous interroger sérieusement sur l'enseignement d'un jésuite « réel », et non point « virtuel » 2. Saint-Jure est un sage, un grand travailleur et un homme de prière. C'est aussi un homme de goût, sensible par-dessus tout à la beauté du Christ.
Rien de plus « ordinaire » donc, de plus mesuré et de plus éloquent, que la doctrine spirituelle de ce jésuite-là qui puise dans la tradition la plus large part de son inspiration. Mais prenons le temps de faire sa connaissance, de le découvrir dans ses relations spirituelles et de feuilleter son œuvre abondante. En d'autres termes, faisons l'effort, avant de le lire, de le resituer dans son histoire, pour mieux voir l'unité de sa vie.

UNE VIE TOUT EN CONTRASTE


Quand Saint-Jure quitte Metz, sa ville, pour étudier la rhétorique à l'université jésuite de Pont-à-Mousson, la Compagnie est alors expulsée du ressort des parlements de France. Trois ans plus tard, en 1604, encouragé par le P. Périn, son professeur, et le P. Marin qui dirige la congrégation mariale dont il est membre, il entre au noviciat à Nancy 3. Les jésuites sont alors rétablis dans le royaume, mais leur situation demeure fragile et, par souci d'économie, les novices ne peuvent vivre longtemps ensemble au noviciat. Après avoir donc accompli sa seconde année de probation à Bourges, Saint-Jure fait sa philosophie à La Flèche. En 1610, il repart enseigner la rhétorique à Bourges, mais, quatre ans plus tard, il est de retour à La Flèche pour faire sa théologie.