Mgr Emmanuel Lafont Évêque de Cayenne. A publié : Le Jubilé en actes (avec N. Bouttier, L’Atelier/CCFD, 2000) et Le curé de Soweto (avec J. Cormier, Le Rocher, 2010).  
 
Je n’en finirai jamais de remercier le Seigneur pour la grâce qu’il m’a faite : il a mis sur ma route une multitude de « pauvres » (enfin, ce sont souvent les autres qui les appellent ainsi) pour m’évangéliser. De Georges Jestin, ouvrier à l’arsenal de Brest et premier jociste rencontré pendant mon service militaire, qui m’a appris l’écoute des jeunes travailleurs, jusqu’à Siwaiwale, jeune Amérindien qui loge à l’évêché depuis quelques mois, garçon attachant et fragile, à la recherche de son père et de lui-même, en passant par Aiku et Yakapin, Wayanas du Haut-Maroni, parents de trois enfants, que je viens de baptiser, deux jours avant Noël, et de marier le jour même de Noël, dans le petit village qu’ils ont construit, et jusqu’à Herman, jeune prisonnier exilé en métropole, dont j’ai pu rencontrer le père dans les rues de Cayenne où il demeure, le 1er janvier 2012. Si je devais les nommer tous ! En Afrique, au Timor, en Amérique du Sud, à Tours et sous les Halles de Paris… Permettez-moi encore, avant d’entrer dans les choses dites « sérieuses », de vous raconter une anecdote. J’avais été invité à Angers, en 2002, par une Communauté religieuse féminine missionnaire, pour une session de deux jours sur « comment vivre avec les pauvres en Afrique ». Je leur ai demandé : « Avez-vous invité des Africains pour vous en parler ? – Non, nous n’y avons pas pensé !... – Permettez-moi de le faire. » Je suis alors venu avec Alphonse et Claudine, du Congo- Kinshasa. Et je les vois encore dire aux religieuses, un peu médusées : « Vous savez, nous, au Congo, nous avons découvert que nous étions pauvres quand vous êtes arrivées chez nous… » Je n’ai pas la prétention d’écrire ce que dit la Bible sur la pauvreté. J’en serais bien incapable. Je vais seulement partager ici comment j’ai appris à la lire, au fil des années et des rencontres.
 

« J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte »

L’expérience la plus fondamentale du peuple de la Bible reste pour moi celle de l’Exode. Un groupe d’esclaves, libéré dans des conditions assez extraordinaires, deviendra le coeur du peuple de Dieu. Leur histoire est désormais racontée sous la forme d’une épopée, première révélation du Dieu de Moïse, le Dieu de la Libération et du service, un Dieu qui ne supporte pas que ses enfants soient soumis à la misère et à l’oppression. Tout commence lorsque le jeune Moïse, sauvé des eaux, découvre l’injustice faite à ses frères. Il commence par se donner lui-même une mission de justicier. Elle se termine par une triste fuite hors d’Égypte, pour échapper à la colère de Pharaon (Ex 2,11-15). Mais Dieu vient le chercher dans le désert : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte. J’ai entendu son cri devant...

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