Il est donc question de béatifier Marie Noël : bien plus qu'un honneur dû à une femme de lettres, connue pour sa conviction chrétienne autant que pour son génie de poétesse, ce serait la reconnaissance d'un itinéraire spirituel solitaire et tourmenté, celui d'une paroissienne ordinaire et provinciale, pétrie d'inquiétude et d'angoisse devant la mort toute-puissante qui ravage le monde des vivants, mais qui, toujours menacée d'effondrement intérieur, maintient sa fidélité au Christ, « Dieu des soumis et des humbles ». Ses Notes intimes, publiées en 1963 chez Stock (hélas, pas de manière exhaustive), nous donnaient de suivre cet itinéraire, jalonné de crises de révolte et de tentative de compréhension du malheur qui afflige les humains : une philosophie implacable de rigueur et une théologie aventurière y apportaient leur concours. Si les Notes intimes, ce bréviaire des âmes en peine, ne nous laissent recueillir que des fragments par grandes étapes, la correspondance de Marie Noël avec l'abbé Arthur Mugnier, figure connue des milieux littéraires et qui sera à la fois son mentor, son confident et son père spirituel, nous restitue la continuité de cet itinéraire et, de plus, à l'intime de son âme ballottée par les tracas d'une santé précaire et d'une vie quotidienne harassante pour cette célibataire, évidemment taillable et corvéable à merci. Ces conditions auront-elles entravé son inspiration – elle l'a pensé fort longtemps – ou bien l'auront-elles confronté à l'âpreté du réel, renouvelant ainsi sa fécondité intérieure ? L'abbé Mugnier veille à ce que la poétesse ne soit pas sacrifiée sur l'autel des « bonnes œuvres », que Marie Noël, naturellement généreuse, se fait scrupule de refuser. Conflit des vocations : « entre l'Artiste et le Saint », comme elle dit, que choisir ?