À la fin de ses jours, répondant à la demande pressante des premiers jésuites, saint Ignace de Loyola se résout à livrer « un testament spirituel en forme de récit » (Jean-Claude Dhôtel). Dans ce Récit dicté au père Luiz Gonçalves da Câmara entre 1553 et 1555, Ignace raconte « comment le Seigneur l'avait dirigé depuis le début de sa conversion », afin d'être utile à qui lirait ce livre. Faire cela, selon le père Jérôme Nadal, un des compagnons éminents de l'entourage d'Ignace, « c'était vraiment fonder la Compagnie ».

Aussi doit-on savoir gré au père Michel Kobik de nous offrir une lecture magistrale et unifiée de ce texte essentiel qu'est le Récit, dont il fait ici une lecture commentée, adossée à une anthropologie du désir (Denis Vasse, La vie et les vivants. Conversations avec Françoise Muckensturm, Seuil, 2001). Une longue expérience de l'écoute et de l'accompagnement guide Michel Kobik de façon précieuse pour nous ouvrir à un pèlerinage intérieur, celui d'Ignace et celui que nous sommes invités à vivre à notre tour.

Une phrase, mise en exergue, donne d'emblée la clé de lecture : « Chacun doit penser qu'il progressera d'autant plus en toutes choses spirituelles qu'il sortira de son amour, de son vouloir et de ses intérêts propres » (Exercices spirituels 189). De renoncement en renoncement, Ignace est conduit à une union toujours plus étroite au Christ. Sortir de soi, dans l'élan d'un désir pour Dieu, fait avancer vers une liberté et un don de soi plus grands. Pour que cette sortie de soi soit effective, il s'agit de combattre la vaine gloire, « cet amour de nous-mêmes qui nous donne de l'importance à nos propres yeux, et du poids dans l'existence aux yeux des autres » (p. 14). Michel Kobik, de façon fine et convaincante, montre combien ce combat décisif occupa Ignace, de Pampelune à Loyola, de Manresa à Jérusalem. Au risque d'y perdre la vie, à plusieurs reprises, et pour laisser un désir purifié le conduire. Il lui devient alors possible de suivre le Christ, de lui obéir dans un amour discret, loin des exploits pour Dieu qu'Ignace désirait accomplir initialement. « Cette discrétion de l'amour est de l'ordre du discernement […]. Elle est aussi, paradoxalement, associée à l'élan du davantage. L'amour discret discerne les moyens de son expression concrète dans le monde […]. Sa source est l'amour sans limites de Dieu, mais il veut l'inscrire dans les limites objectives de la réalité quotidienne. Incarnation du réel invisible qui nous porte, cet amour conduit à la modestie, la mesure, la prudence » (p. 88).

« Être utile aux âmes. » Telle est la vocation qu'Ignace découvre peu à peu, jusqu'à son affirmation nette après le pèlerinage à Jérusalem : ce sera en étudiant, pour ne pas être entravé par les procès pour ignorance ou illuminisme. Et ce sera avec des compagnons, gagnés à Dieu au moyen des Exercices spirituels.