Seuil, 2006, 246 p., 20 euros.

Prenant le relais de Paul Beauchamp qui, peu de temps avant sa mort, offrait avec ses Cinquante portraits bibliques (Seuil, 2000) une superbe initiation à l’Ancien Testament, Claude Flipo trace, autrement, mais d’une main également experte, le portrait de cinquante hommes et femmes du Nouveau Testament. Ce livre, comme le premier, se fait d’abord remarquer par la qualité de l’édition et par son iconographie. Des gravures de Jérôme Nadal, compagnon de saint Ignace et illustrateur des Évangiles, ponctuent les chapitres. Manière de magnifier sobrement le texte des Écritures, qui ne fait pas nombre avec nos éphémères écritures.
Le Nouveau Testament est ainsi reparcouru sous la forme de portraits d’hommes et de femmes dont Jésus croisa le chemin, rencontra le regard, recueillit la détresse, devina le désir. L’auteur nous remet par là devant cette réalité majeure : la Bonne nouvelle est que Dieu vient visiter son peuple. Il « s’est fait conversation », rappelle la Préface. Dès lors, l’Évangile ne peut pas être enseignement abstrait, énoncé d’idées. Il est rencontre de Dieu incarné avec une humanité incarnée. C’est dans le face-à-face concret avec les appels, les questions, les résistances, les espérances de ses interlocuteurs successifs, que Jésus dévoile qui il est et qui est le Père qui l’envoie.
À leur tour, les Évangiles sont écrits et transmis pour que, de génération en génération, leurs lecteurs entrent eux aussi dans ce face-à-face. Selon la tradition ignatienne de la « composition de lieu », il s’agit de se reconnaître engagé aujourd’hui dans ce qui fut vécu hier par Zacharie, par la Cananéenne, le « bon larron » ou Thomas. Il s’agit de recevoir comme parole vive ce que Dieu révéla à leur coeur. C’est ainsi que le dernier chapitre du livre est consacré à la figure du « disciple que Jésus aimait ». Cinquantième et ultime portrait, qui nous renvoie à l’un des plus proches de Jésus, pourtant resté mystérieusement anonyme. Qu’il y ait là une énigme à résoudre pour l’exégèse ne doit pas faire ignorer l’essentiel : le disciple anonyme désigne au lecteur une place à occuper. Il l’invite à habiter cet espace de choix qui fut celui du disciple reposant sur le côté de Jésus.
C’est de cette intimité que jaillit justement la lecture de Claude Flipo. En ce sens aussi, ce livre est une pédagogie de la lecture chrétienne des Évangiles. Il montre comment des récits, dont on croirait avoir épuisé le sens, rejaillissent en nouveauté lumineuse et vivifiante. Non que la lecture force ici leurs silences, y importe les inventions de l’imaginaire. L’auteur enseigne à résister à ce penchant des lectures personnelles qui parlent à la place du texte. Il montre bien plutôt ce que c’est qu’écouter celui-ci pour recevoir, de l’intérieur, révélation de ce que la rencontre de Jésus produit dans les coeurs et dans les vies. C’est ainsi qu’il peut lire dans le « coeur brisé » du centurion au pied de la croix, non pas le roman imaginaire d’un païen pris malgré lui dans l’histoire de Jésus, mais le cheminement de la vérité qui désarme. De la sorte, c’est l’histoire de la rencontre innombrable de l’homme avec Dieu qui est ici restituée. L’histoire, finalement, de chaque lecteur des Évangiles en son parcours singulier, qui remet pourtant ses pas dans ceux des hommes et des femmes qui furent les contemporains de Jésus. Ce livre est donc à fréquenter, à lire, et à donner à lire pour aiguiser l’intelligence spirituelle de qui ouvre ou ré-ouvre les Évangiles.