Éd. et intro. B. Forthomme. Trad. Clarisses d’Assise. Éditions franciscaines, coll. « Profils franciscains », 2009, 180 p., 16 euros.

Rédigé l’année même où naquit Igna­ce de Loyola, ce récit des « choses de sa vie spirituelle » par la bienheureuse Camilla-Baptiste, moniale franciscaine du courant réformé, alors âgée de 33 ans, est un précieux jalon dans l’histoire de la spiritualité et de « l’écriture de soi ». Traditionnellement publié sous le titre Vie spirituelle, cet écrit s’apparente plus aux Relations de Marie de l’Incarnation qu’à la Vida de Thèrèse d’Avila. Une expérience spirituelle s’y raconte, que l’éditeur, Bernard Forthomme, s’autorise à résumer par une formule de Camilla elle-même : un « bonheur malheureux ».
L’oxymore, typique du langage mystique, n’est pas ici au service d’une exaltation maladive de la souffrance, mais il si­gnale, une fois de plus, ce constat para­doxal : pour qui a été séduit par le Christ, douleur et larmes peuvent être source de joie et d’une force de vie incroyable.
« Une petite larme, rien qu’une petite larme pour la Passion du Seigneur », mendiait un prédicateur franciscain à la fin d’un sermon entendu par Camilla qui venait d’accéder à l’âge de raison. Quinze ans plus tard, elle lui écrit, de son propre chef, pour lui faire part de ce que fut sa vie spirituelle depuis ce jour-là (initiative exceptionnelle dans l’histoire de la littérature spirituelle : c’est toujours sur ordre que les femmes se racontaient) : sa naissance à la vie spirituelle dans un milieu familial aris­tocratique et de haute culture, et dont le destin tourmenté fut lié à celui des Bor­gia et des Medicis, ses combats avec son père pour faire accepter sa vocation, ses souffrances surtout. Celles-ci ne furent pas apaisées par son entrée en religion, au contraire (« mon amère profession »). La hantise de la rénovation de l’Église l’avait rendue littéralement malade. À la différence de sainte Claire, ce sont « les douleurs mentales » du Christ (titre de son écrit le plus célèbre) qui occupaient sa contemplation : désir du « mal pâtir » (« Servir Dieu n’est pas autre chose que faire le bien et supporter le mal », avait dit saint Bernard). On comprend que la mystique du Sacré-Coeur ait trouvé en elle une pionnière, rayonnante d’une assurance extraordinairement paisible, qui a traversé l’angoisse du salut.
Cet écrit suggestif est servi par une introduction et une annotation de très grande qualité : par exemple sur le sens des larmes dans la tradition spirituelle, sur la vision dorsale du Christ (caracté­ristique de cette mystique qui ne connaît pas la fusion amoureuse), sur la critique du paradis et de l’enfer, sur la dévotion aux pieds du Christ. La figure de Camilla se révèle à la fois solidaire de son époque et puissamment originale.