François MARXER Centre Sèvres, Paris. Dernier article paru dans Christus : « Thérèse de Lisieux : enfantine ou infantile ? » (n° 217, janvier 2008).  
 
Il y a deux nuits : la nuit et une autre Nuit. L’on aurait plaisir à reconnaître dans la première la nuit romantique, somptueusement enveloppée d’une « ombre tiède et trouble » : l’obscurité y est « translumineuse, dit Roland Barthes, dans l’intérieur noir de l’amour ». Les mystiques, eux – Jean de la Croix en tête –, nous confirment l’autre Nuit où s’éprouve « le froid glacial du vide absolu ». Mais, ajoutent-ils, au-delà de cette nuit, ils ont retrouvé la lumière, « une lumière véritable. La nuit n’est qu’une étape nécessaire et une épreuve. Après elle, la “vraie vie commence” » 1. Leur assurance nous émeut, voire nous bouleverse, mais la commune et pusillanime médiocrité de nos états d’âme, feu roulant de nos fols enthousiasmes ou langueur de nos résignations impossibles, nous laisserait en retrait, comme sur nos gardes. L’expérience de la nuit n’est pas simple, elle est courageuse. La nuit, nous le savons tous, est disparition de la lumière et règne de l’obscurité. L’expérience peut en être heureuse et apaisée : c’est la nuit parfumée, frémissante de multiples et secrètes présences, « où fermente toute l’animalité du monde » ; la nuit d’été, propice, on le sait, aux elfes et aux fées ; ou, au contraire, en notre enfance si impressionnable, ce peut être l’épreuve terrifiante de la perte de tout repère, la perte du monde familier. Mais l’autre Nuit – ou, comme la désigne Catherine Chalier, « la nuit de la nuit » – est autre : elle intrigue la pensée, assaille le coeur et inquiète l’âme sereine. S’en approche la grande peinture, laquelle est d’un accès plus aisé, plus immédiat, toute savante et travaillée qu’elle soit : sans doute parce qu’elle a pour fonction – faut-il dire : pour vocation ? –, non de reproduire le visible, mais de rendre visible une vision secrète. Selon les mots de Paul Klee dans sa Théorie de l’art moderne, la peinture nous introduit au mieux à l’énigme, ou plus encore peut-être : au mystère de la Nuit. Dans cet atelier des nuits, j’interrogerai deux maîtres : Georges de La Tour et Vincent Van Gogh.
 

La Tour ou l’incarnation de la nuit

Avez-vous en mémoire la Madeleine pénitente qui, à la lueur infaillible de la flamme d’une l’humble chandelle – la chandelle pauvre et vile, figure de la servitude humiliée, rien de la saine bougie domestique, moins encore de la noblesse du cierge mystique 2 –, Madeleine qui scrute, pensive, le crâne nu, témoin de la faillible et misérable condition qui est nôtre ? Mélancolie d’ainsi mesurer la vanité du présent, sans doute aussi des charmes dont elle s’est jadis étourdie : un miroir est là, qui dédouble et sonde la réalité en son exacte et si ténue profondeur : le rien d’un reflet, d’une image incertaine et tremblante....

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