À travers des regards croisés voire inattendus, la figure de Georges Bernanos (1888-1948) refait surface ces derniers temps et souvent pour que soit soulignée la dimension prophétique et spirituelle de son œuvre. À l'instar de plusieurs auteurs, Mgr Patrick Chauvet n'hésite pas à écrire qu'en dépit de la distance entre son époque et la nôtre, « Bernanos a quelque chose à nous dire au moment où nous vivons une fin de civilisation et où nous sommes en train de vivre une révolution numérique ». Et, de fait, sa lucidité continue de nous interpeller.

Chez Bernanos, les « zones troubles et pourries de l'âme » (L'imposture, Plon, 1927) n'ont jamais le dernier mot, pas plus que le désespoir. Mgr Chauvet voit chez Bernanos un auteur qui invite à l'espérance, fut-ce au prix d'un exigeant combat spirituel. Pour cela, Mgr Chauvet invite à lire ou relire trois de ses œuvres majeures : Sous le soleil de Satan (Plon, 1926), le Journal d'un curé de campagne (Plon, 1936) et le Dialogue des carmélites (Seuil, 1949). C'est l'occasion d'entrer dans la densité de l'affrontement direct au Mal dans l'aventure d'une sainteté qui se déploie ici à travers des personnages plongés dans une tension permanente. La relecture des œuvres est l'occasion pour le recteur de Notre-Dame de proposer une catéchèse plus large et classique en évoquant les grandes figures de sainteté qui ont inspiré les œuvres de l'écrivain, notamment le curé d'Ars pour les personnages de prêtres dont l'abbé Donissan, mais aussi Thérèse de Lisieux. En dépit de la présence de la « tentation du désespoir », même chez des pasteurs, il faut croire à la douceur de Dieu qui peut délivrer des prisons intérieures.

Fascinante est enfin, chez Bernanos, cette capacité de passer du roman à l'essai, du destin personnel à celui des sociétés, lançant ainsi une interpellation spirituelle plus large face aux événements de l'histoire. On en a une belle preuve en lisant Où allons-nous ? du même Bernanos, réédité au Seuil. En fait, il s'agit de larges extraits de la Lettre aux Anglais (Atlântica editora, 1942), publiée alors que l'écrivain est en exil au Brésil, des textes qui sortiront en France dans la clandestinité grâce aux Cahiers du Témoignage chrétien et seront diffusés sous le manteau.

Il s'agit bien sûr d'un appel à la résistance au nazisme, qui refuse toute collaboration ou résignation face à l'occupant. Mais, plus largement, Bernanos y écrit aux puissances alliées, en lançant une pressante invitation à favoriser une régénération spirituelle dans ce qui va devenir le « monde d'après ». L'interrogation « Où allons-nous ? », reprise sous forme de titre, rejoint directement la nôtre. Avec la pandémie, la crise écologique, les mutations technologiques et la peur de l'avenir, nous ne cessons de répéter que « le monde d'après ne sera plus comme avant », avec le risque de nous résigner à l'incertitude collective. Bernanos, en son temps, craint lui que du second conflit mondial n'émerge un monde néopaïen, dominé par une technique dévoyée, où les hommes auront finalement renoncé à leur liberté et au sens de l'honneur, pour mieux s'assurer un confort et une sécurité toute matérielle.