Comment vivre, une fois disparu l’être aimé ? Comment habiter les lieux où le couple a coulé tant de jours heureux, qu’évoquent chaque objet, chaque livre, chaque animal (d’espèce plutôt féline ici) ? L’auteure, qui reste sur la rive, ne choisit pas précisément de plonger dans la mélancolie (les lecteurs de Christus savent en outre que l’auteure a du mal à l’engendrer) mais plutôt de se concentrer sur la manière dont l’époux s’est absenté, depuis les premières attaques cardiaques jusqu’à ses funérailles. Autant d’événements qu’Annie Wellens lit à la lumière de la Bible (les sept jours de la Genèse et l’Exode) et en suivant la méthode de remémoration chère à Marcel Proust, que le couple lisait à haute voix les derniers temps. L’enjeu pour elle est de retrouver trace des gestes, regards, paroles, silences, écrits que l’époux, passé sur l’autre rive, avait discrètement distillés en guise de testament. Or plus elle découvre de signes, plus lui est révélé le mystère de leur couple, « concorde discordante » (ou, selon, « discorde concordante ») qui, sous le regard de Dieu, régna intensément entre eux. Et lorsqu’elle prend conscience que ces signes, loin de l’enfermer dans des regrets éternels, l’ouvrent à la puissance de la vie qui lui reste, elle ne peut réprimer un cri de profonde reconnaissance envers ce compagnon si attentionné, même pardelà la mort.
 
Yves Roullière