
Né dans la dynamique de l'année de la Miséricorde, cet ouvrage enrichit cette notion d'une approche proprement franciscaine. Engagé de longue date auprès des plus pauvres, notamment avec ATD – Quart-Monde, à Madagascar ou à Marseille, le frère franciscain Frédéric-Marie Le Méhauté revient sur l'épisode de la rencontre avec les lépreux, moment de changement décisif dans la vie de saint François d'Assise, raconté en particulier dans le Testament. Dans un premier temps, il s'agit de renouer selon lui avec le mot même de miséricorde, tombé en désuétude, trop souvent opposé au terme de justice, voire évité dans nombre de traductions des écrits franciscains eux-mêmes. Étudiant de près ce récit de la Tradition à travers des versions différentes, l'auteur se demande ensuite en quoi François « fait miséricorde » auprès des plus pauvres. Ainsi, « l'épisode du baiser au lépreux n'est pas à lire dans la littéralité de l'événement mais comme rencontre exemplaire qui témoigne d'une conversion radicale… C'est avec les lépreux qu'il apprend la vie fraternelle, c'est avec les lépreux qu'il apprend à vivre la pauvreté, c'est avec les lépreux qu'il pose les fondements de ce que sera la manière de vivre qu'il proposera aux frères qui le rejoindront » (p. 60). Surmontant sa propre répulsion, François baise la main du malade comme un vassal du Moyen Âge le fait à son suzerain, à travers un geste qui implique tout le corps. Au cours d'une dernière étape, nous sommes invités à approfondir l'actualité de cet épisode pour aujourd'hui. À la suite de Maurice Bellet, il faut nous délivrer d'une vision perverse de la charité, une forme de condescendance où le pauvre ne sert en réalité qu'à satisfaire notre besoin de pitié. Au cœur des nouvelles précarités de notre monde, il est plus urgent de « nous faire miséricorde les uns les autres » dans un mouvement authentique d'accueil et de réciprocité. « Le cœur de ce que nous dit l'expérience des plus pauvres, c'est que la miséricorde de Dieu n'a pas de limites » (p. 123). Loin de nous enfermer dans la lamentation ou le dolorisme, « ce baiser au lépreux fait passer de l'amertume à la douceur, de l'insupportable à la joie, pour l'esprit et pour le corps » (p. 127).
Un propos qui peut paraître parfois un peu technique mais qui, par son ton revigorant et incisif, est tout à fait bienvenu.