S'il est vrai que le temps est depuis toujours la grande énigme de la condition humaine, sceau de la finitude, porteur des espoirs et des craintes, à la fois chance et condamnation, il ne l'est pas de la même façon selon les époques. Regarder de près comment il est vécu, éprouvé, supporté et utilisé, c'est se donner la possibilité de découvrir les dominantes d'une période de l'Histoire et d'une culture à un instant donné.

La nôtre se voit souvent affublée de qualificatifs proches : moderne, hypermoderne ou surmoderne, le plus souvent postmoderne. On y verrait à tort un jeu de langage, car cette tentative conceptuelle vise à rendre compte des nuances que prend la modernité au long de son histoire déjà longue. Comme on le verra, tous ces termes ont leur raison d'être, car le spectre est large sur l'ensemble de la société actuelle. Ils témoignent non seulement des vertigineuses avancées techniques, mais aussi des réactions collectives qu'elles suscitent au sein de la société : enthousiasme, tension créative, réserves, critiques, combats contraires, propositions alternatives.

Parmi les bouleversements évoqués, la question du temps, de ses représentations et des répercussions sur la vie collective et individuelle est centrale.

La ligne brisée de la modernité

La modernité, dans ses élans, ses espoirs, sa volonté et sa foi en l'avenir a profondément changé la représentation linéaire entre passé, présent et avenir. En Occident, ce dessin du temps a soutenu sur des siècles l'histoire des individus et des peuples, le déroulement des récits, la transmission entre les générations, l'évolution des apprentissages : il ordonnait l'inconscient collectif. A contrario, la modernité s'est affirmée en résistant à la force des traditions et en choisissant le radicalement nouveau. Il fallait rompre. Les efforts ont porté vers les projets et le progrès, vers l'avenir