Aux défaillances de la charité, il y a certes bien des causes, à commencer par notre volonté mauvaise, notre inertie et nos paresses, nos compromissions et nos sottises. Mais à ces causes surtout morales, incessamment rappelées par les exhortations des prédicateurs, il faut bien reconnaître que s'ajoutent des causes objectives. Ainsi, la rareté des biens a été pendant longtemps un obstacle majeur à une pleine reconnaissance de la dignité d'autrui, dans la mesure où elle tendait, presque inévitablement, à créer et maintenir l'exploitation de l'homme par l'homme. Les problèmes non résolus de structure et d'organisation peuvent paralyser une société techniquement capable de satisfaire les besoins des hommes. Le mal proprement psychique, qui relève de la psychothérapie, peut enfermer des sujets humains dans la souffrance et la stérilité, dans l'inconscience du sens de leur comportement réel ; il arrive alors que, croyant être bons, ils sont malgré eux égoïstes, cruels, destructeurs.

Immenses champs de recherche où, malgré bien des échecs et des erreurs, s'annonce la possibilité d'une libération effective de l'homme. Est-ce l'importance de telles causes objectives, avec les tâches qu'elles font surgir, qui fait que, pour certains chrétiens, la charité n'apparaît plus que comme un idéal vague ou même ambigu ?

Alors il devient tentant de passer de la charité, au sens précis que lui donne la foi, à un humanisme dont la forme peut varier, mais dont la référence chrétienne demeure formelle et vide, ou n'est plus qu'une vague persistance culturelle. La charité contre la foi, ce n'est en ce cas qu'un moment instable en un processus qui va beaucoup plus loin, où foi et charité risquent de disparaître ensemble. Certains s'y laissent prendre sans bien percevoir l'enjeu ; d'autres, plus lucides, en éprouvent perplexité et angoisse.

Pourtant ces mêmes chrétiens reconnaissent le plus souvent que la charité, telle qu'elle s'annonce en l'Évangile, est malgré tout « quelque chose » de grand, d'impérissable, une certaine manière d'aborder l'homme, de désigner le sens de sa vie, d'instaurer l'amour, dont rien d'autre n'est l'équivalent. Mais d'où viennent alors l'éloignement et la déception ? Ne serait-ce pas, pour une part essentielle, d'une défaillance interne de la charité ? Et celle-ci, à