L'emprise du temps quantifié
La maîtrise du temps est devenue une composante-clé de la compétitivité économique. Servir le client en temps et en heure, être réactif, maîtriser et raccourcir les délai, autant d'impératifs guidant la vie des entreprises. La majorité des technologies modernes concourent à la maîtrise et à la densification du temps. Les nouvelles technologies de l'information, par exemple, visent à compresser le temps nécessaire au franchissement des distances, jusqu'à pouvoir échanger instantanément à travers la planète. On assiste alors à la création d'un « temps-monde », temps mondialisé qui abolit toute notion d'espace en devenant irréel, immatériel.
Cet écrasement du temps va de pair avec un rétrécissement de nos perspectives. La pression de la « non-durée », la « sur-valorisation » de l'immédiat obèrent la relation fondatrice entre passé, présent et futur. Nous oscillons entre un présent éphémère et un avenir incertain sans tisser des liens véritablement cohérents, ce qui ne peut être que source d'angoisse. Les prévisions économiques, par exemple, peuvent difficilement dépasser six mois. L'avenir est du coup disqualifié : chacun se blottit dans un présent instable. Seul l'exode peut rétablir l'ordre des choses : les vacances, le divertissement, le sport — tentatives de retrouver un temps de paix.
Une des conséquences de cette extrême maîtrise du temps est de donner de la valeur au « non-temps » en souhaitant en faire plus dans un minimum de temps, profiter au maximum d'un temps libre pour qu'il soit d'une manière ou d'une autre « productif »... Autre conséquence : donner la primauté à l'immédiat aboutit, par glissements successifs, à dévaloriser la notion de durée et, par là même, celle d'effort. L'impératif d'être connecté en temps réel sur le monde, d'être informé rapidement de tout, se fait au détriment du sens. On regorge d'informations sans avoir assez de temps pour les digérer, sauf à sélectionner celles qui nous intéressent et... prendre...
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