Plus que jamais la vie religieuse, au senslarge, est un point d'interrogation au sein de l'Eglise et de la société. Sans doute est-ce d'abord dû à l'ignorance ou à l'indifférence de notre monde. Mais des « brouillages » sont également nés des grands changements qu'ont connus ces quarante dernières années moines, religieux et consacrés. Cela n'empêche nullement l'estime ou la gratitude de beaucoup à l'égard des membres de tous ces instituts. L'enquête que nous avons réalisée en vue de ce numéro en témoigne. De leur côté, les religieux, à cause des crises traversées, acceptent désormais, sans doute mieux qu'auparavant, d'être interrogés par les autres baptisés sur ce qu'ils sont et ce qu'ils font. Significatif à cet égard est le fait que plusieurs aient ici choisi le genre épistolaire pour exprimer à des laïcs le sens de leur vie.
D'où ce numéro, exceptionnel, qui aborde la vie consacrée à partir de la façon dont elle est perçue au sein du peuple de Dieu. Il ne s'agit certes pas de s'en tenir à des images extérieures, avec ce que cela pourrait avoir d'illusoire ou de réducteur. Car l'Eglise est un corps vivant, fondé sur des relations vivantes. Ce que perçoivent les baptisés, les attentes qu'ils manifestent à l'égard des consacrés, rejaillit sur tous, religieux, prêtres et laïcs eux-mêmes. En situant mieux la vocation religieuse au sein du peuple de Dieu, chacun peut être aidé et soutenu dans sa propre recherche de Dieu dans le monde.
Le dernier Congrès mondial de la vie consacrée a mis en avant deux belles icônes bibliques pour dire la vie religieuse : la Samaritaine rencontre Jésus au bord du puits, et sa soif d'eau se révèle soif de Dieu : « Donne-moi à boire... Si tu savais le don de Dieu. » Et la femme aux relations blessées va annoncer le Christ à tous. Le Samaritain, lui, ne se détourne pas de l'homme à terre, sur le chemin, il le soigne jusqu'au bout. « Et qui est mon prochain ?... Lequel s'est rendu proche ? Va et fais de même. » L'homme de Samarie nous apprend ce qu'est l'amour en actes. La passion contemplative et la compassion sont les deux grandes dimensions où les religieuses et les religieux peuvent aujourd'hui se perdre et se trouver, dans la rencontre de Dieu et des êtres.
La vie religieuse, point d'interrogation et signe de contradiction dans notre société ? Elle est plutôt une énigme pour la plupart de nos contemporains, y compris les chrétiens. Et sans doute doit-elle s'assumer comme telle. Pour parler du Royaume de son Père, Jésus ne parlait-il pas en paraboles ? La vie religieuse, comme une parabole vivante, peut inviter à se tourner vers le Mystère et sa lumière.