Après plusieurs livres consacrés à François d'Assise (Le passe murailles [Éditions franciscaines, 2015], Le drapier d'Assise [Salvator, 2016]), ainsi qu'un essai sur Éloi Leclerc ou l'espérance franciscaine (Salvator, 2018), on ne s'étonne pas de voir Michel Sauquet, essayiste et enseignant à Sciences Po, nous proposer cette présentation alerte de la spiritualité franciscaine et son actualité. Comment comprendre en effet que la figure de François, le courant qu'elle irrigue, continuent d'intéresser nos contemporains ? Sans doute est-ce d'abord dû à la puissance dynamique de « l'élan franciscain » dont témoigne la vie du saint à travers son sens de la « joie parfaite », un dynamisme qui fait l'objet de la première partie de cet ouvrage. Cet élan n'est pas tourné vers lui-même, comme nos modernes selfies, mais invite à la contemplation jusqu'à l'émerveillement, jusqu'à la découverte de l'intelligence d'un Dieu trinitaire, ainsi qu'à celle de l'intelligence de l'autre, illustrée par exemple dans l'interculturel qui nous marque de plus en plus. Les grandes rencontres de la vie de François – telles celles du lépreux, du loup de Gubbio ou du sultan – en témoignent abondamment.

Dans une seconde partie, Michel Sauquet insiste davantage sur ce que peut signifier « vivre en franciscain·e ». Si l'esprit d'humilité ne doit pas conduire à la dévalorisation de soi, le sens de la pauvreté peut toujours être réévalué en fonction du contexte et des appels évangéliques. On sait que la pauvreté fait déjà débat au temps de François quand son ordre prend de l'importance mais, de nos jours, elle rencontre un regain d'intérêt à travers la sobriété volontaire prônée face à la société d'opulence, aux inégalités ou à l'exigence écologique. Vient ensuite l'esprit de « minorité », sur lequel s'attarde plus longuement l'auteur : remarquons que ce mot risque de ne pas être compris d'emblée comme tel, qui désigne surtout dans notre langage courant des groupes revendiquant une identité propre ou une cause particulière. Or, ici, pour la spiritualité des « frères mineurs », justement, ce sens de la minorité invite à ne pas se considérer comme supérieur et à se mettre au service des autres. Il s'agit au fond d'un détachement, d'une désappropriation de soi qui prolonge et élargit l'esprit de pauvreté : « La pauvreté franciscaine n'est pas seulement une pauvreté matérielle. Elle consiste également, et peut-être surtout, en une autre désappropriation, celle de l'ego, de la volonté propre et du pouvoir : un lâcher-prise assurément difficile pour tant d'êtres humains habités par l'angoisse de ne pas exister socialement, de ne pas être estimés, reconnus, respectés. » À cela s'ajoute bien sûr l'invitation à la fraternité en actes, pour la dignité et la justice, qui se retrouve à notre époque dans « l'esprit d'Assise » ou dans les cercles de silence lancés par le frère Alain Richard pour défendre les sans-papiers. Pour Michel Sauquet, membre d'une fraternité franciscaine séculière, « les valeurs franciscaines n'ont jamais été aussi nécessaires qu'aujourd'hui ». Quel plus bel « antidote au cynisme » que l'émerveillement proposé par les disciples de François ? Quel meilleur souffle d'espérance pour un monde en quête de chemins nouveaux ?