La crise que nous traversons met à mal l'idée de progrès. Valéry savait déjà que les civilisations sont mortelles, mais, à mesure que notre connaissance s'élargit, nous percevons à quel point nous manquons d'un supplément d'âme. L'ère du vide, a-t-on dit ! Un vide intérieur qui suscite aujourd'hui un intense désir de croissance humaine et de développement spirituel, la quête d'une nouvelle sagesse. Mais c'est la quête elle-même plus que le but qui mobilise nos contemporains, comme si le but, le sens dernier de l'existence, était perdu.
La perspective chrétienne est autre : c'est le but qui donne sens à la quête, le terme qui oriente le chemin. Et ce terme est une personne. Pour comprendre ce qu'est le progrès spirituel, il faut relire le chapitre 3 de l'Epître aux Philippiens où, avec des mots brûlants, l'apôtre décrit sa course : oubliant le chemin parcouru, tendu de tout mon être, je cours pour saisir le Christ, ou plutôt pour être saisi par lui, le connaître, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, afin d'être trouvé en lui...
Ce chemin, cette course ont été décrits de bien des façons par la tradition spirituelle : c'est l'image de Dieu inscrite en l'homme par la Création qui, dans le Christ tend vers sa ressemblance ; c'est le passage d'une vie morale à une vie dans l'Esprit ; c'est une purification des passions et leur intégration dans l'amour... Une expression les résume : sortir de soi. Découvrir que le centre de gravité de notre personne est dans le Christ Jésus et que seul l'amour peut transférer peu à peu ce centre en Dieu. Au début, nous tirons Dieu à nous, nous voulons qu'il nous aime, puis Dieu nous tire à lui et nous voulons l'aimer pour lui-même. Tout l'effort consiste à consentir.
Ainsi, le progrès spirituel n'est pas mesurable en fonction d'un degré particulier ; il est le principe même de toute la vie spirituelle, son dynamisme, qui va de commencements en commencements, comme en spirale, vers des commencements qui ne finissent pas. Une trop grande attention aux étapes et aux passages ferait qu'on s'y arrête, par vanité ou par dépit, au risque de pervertir la vie spirituelle en parcours du combattant. C'est le mouvement qui importe.
La croissance spirituelle est donc d'un autre ordre que le progrès humain. Et pourtant, une vie spirituelle qui ne rendrait pas plus humain serait suspecte. Dieu seul est humain, a-t-on dit. Et la participation au mystère pascal du Christ, le passage mystique par sa mort et sa résurrection, loin de détruire les valeurs humaines, les purifie et les transfigure, portant des fruits de civilisation. En ce sens, la notion de progrès est une idée spécifiquement chrétienne.