Montéee de la violence ? Plus encore que les conflits armés, tenus à distance, ce qui retient l'attention, c'est cette violence sournoise qui affleure au quotidien : la prolifération des zones de non-droit, l'exclusion, les propos racistes, l'irascibilité automobile, les maltraitances familiales, les licenciements brutaux, la pollution de l'environnement..., et cet irrespect des moeurs qui a pour nom l'incivilité. Violence de toujours, sans doute, mais qui, n'étant plus mobilisée pour les grandes causes, ni canalisée par l'éducation, prend des formes anarchiques. Risque de déshumanisation ! Nos sociétés, fondées sur la rationalité, s'étonnent de ne pouvoir la contrôler.
Les chrétiens, du fait qu'ils héritent d'une tradition biblique prenant en compte la violence, ont une parole à dire pour refuser cette logique au nom d'une autre sagesse et pour ouvrir des chemins d'humanisation. Depuis la transgression première, l'inhumain demeure menaçant, comme une bête tapie : « Vas-tu la dominer ? », dit le Seigneur à Caïn. Certes, c'est à l'Etat de droit que revient la mission d'assurer la sécurité de tous. Mais, avant même qu'elle puisse trouver son expression sociale, la question s'adresse d'abord à chacun, à cette violence qui nous habite : la maîtriser ne consiste pas à la nier, mais à la réordonner. Orientée selon la charité, la violence peut alors se muer en énergie pour lutter contre le mal et promouvoir le bien. La force n'est-elle pas une vertu cardinale, et même un don de l'Esprit Saint ?
La Bible révèle que la violence meurtrière plonge ses racines dans le refus de Dieu. Mais c'est pour mieux souligner comment il nous en sauve : en proposant son Alliance dans la justice et le droit, l'amour et la fidélité, et en promettant à l'homme, incapable de l'honorer, une nouvelle Alliance par le don de l'Esprit. Tel est le rêve de Dieu : « Le loup habitera avec l'agneau. » Tel il s'accomplit en la personne du Christ, victime et victorieux de la violence la plus extrême. Ne fallait-il pas que l'Amour prît tout sur lui, et jusqu'au refus de l'amour, comme le montrent encore aujourd'hui bien des martyrs du temps présent ? Toute-puissance de la douceur de Dieu : « Mettez-vous à mon école, dit Jésus, apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur... »
Il faut pour cela mener la guerre la plus dure. Il faut, comme l'avouait le patriarche Athénagoras à la fin de sa vie, « arriver à se désarmer. ». Douce et forte violence de celui qui s'empare du Royaume, ni contre autrui, ni contre soi-même, mais en dominant la bête tapie, toujours prête à dévorer l'un et l'autre. Alors, dans la communion retrouvée, peut s'élever un signe prophétique pour le monde : la violence de la haine peut être convertie, par l'Esprit Saint qui travaille au coeur des hommes, en violence de l'amour. C'est à l'Eglise de le proclamer, et de le démontrer.