Les 17 et 18 janvier dernier, Christus a célébré ses cinquante ans par un colloque au Centre Sèvres à Paris, sur le thème : « Témoin de la vie spirituelle de notre temps ». Témoin engagé, puisqu'il s'agissait, grâce à la participation d'acteurs qualifiés et d'une assistance motivée, non seulement de relire quelques étapes de la vie spirituelle des chrétiens de France depuis 1954, mais aussi de souligner comment une revue comme la nôtre avait cherché à « accompagner » cette recherche spirituelle, à discerner ses issues et aussi ses impasses.
Un numéro spécial de Christus publiera en septembre prochain les principales communications de ce riche colloque. Le 17 janvier, Yves Roullière, rédacteur en chef adjoint, brossait un panorama suggestif de l'évolution des thèmes de la revue au cours de ces cinquante ans, introduisant ainsi la conférence magistrale d'Etienne Fouilloux. Historien bien connu, sa conférence sur « Christus dans la vie de l'Eglise » soulignait à quel point la fondation, puis le développement de la revue furent une aventure peu banale, parfois contestée, bien souvent encouragée par les autorités de la Compagnie de Jésus, toujours soutenue par ses lecteurs : en moins de dix ans, la revue n'avait-elle pas atteint les 10.000 abonnés ? Dominique Bertrand devait prolonger le récit de cette histoire mouvementée au long de la période post-conciliaire. Enfin, Claude Flipo, rédacteur en chef, évoquait les enjeux actuels de la revue.
La journée du 18 janvier fut celle des spécialistes : études et réflexions sur le renouveau des Exercices spirituels et leur pratique (Adrien Demoustier et Pierre Emonet), impact de la culture et des sciences humaines sur la foi (Maurice Bellet). Puis ce fut le tour des historiens (Philippe Lécrivain et Dominique Salin) qui situèrent les grands auteurs jésuites des XVIIe et XVIIIe siècles, publiés dans la collection « Christus » chez Desclée de Brouwer. Deux directeurs de revues soeurs européennes, Ignacio Iglesias pour Manresa (Espagne) et Philip Endean pour The Way (Grande-Bretagne), évoquaient avec brio la place de la spiritualité ignatienne dans les pays hispano et anglophones. Le P. Mark Rotsaert, président des provinciaux jésuites européens, pouvait alors conclure sur « le charisme ignatien dans la formation spirituelle aujourd'hui ».
On trouvera dans ce numéro le texte de son intervention, ainsi que celui de Pierre Emonet sur la pratique des Exercices. Aujourd'hui, après une baisse conséquente du tirage au cours des années de crise, puis une remontée très sensible depuis une douzaine d'années, Christus poursuit sa marche, soutenue par un nombre de lecteurs, qui, loin de fléchir, manifeste l'intérêt toujours croissant des chrétiens d'aujourd'hui pour un approfondissement spirituel. Entre une spiritualité qui part d'en haut, de la révélation chrétienne, pour chercher à en vivre tous les jours, et une spiritualité qui part d'en bas, de l'expérience humaine et de sa relecture, pour y trouver les signes de l'Esprit, nous refusons de choisir. Tel est le défi : il faut tenir les deux bouts ; bien plus : les croiser et les féconder mutuellement, tant il est vrai que tout ce qui est authentiquement humain a une dimension spirituelle et que tout ce qui est réellement spirituel est humanisant.


Ce numéro a pour thème la paternité.Chacun reconnaîtra dans son sous-titre, « Pour tenir debout », un extrait de la belle hymne de Didier Rimaud : Dieu qui nous appelle à vivre. Pour tenir debout au chemin de la liberté, nous avons besoin, en effet, d'un père sur la Terre, qui nous donne une colonne vertébrale, et d'un Père dans les Cieux, qui fasse jaillir en nous l'Esprit.
C'est cette complémentarité, ce rapport intérieur entre ce père humain, dont Péguy disait qu'il était le grand aventurier des temps modernes, et « Celui de qui toute paternité tire son nom », que visent à éclairer les différents articles du dossier, en ce temps où il est si difficile d'être père. Son rôle, devenu flou, a balancé de l'autoritarisme à l'effacement. Une multitude d'enfants vivent aujourd'hui en l'absence de père ! Albert Camus, dans son roman posthume, Le premier homme, l'a souligné : l'enfant doit trop souvent « apprendre seul, grandir seul, trouver seul sa morale et sa vérité, naître enfin comme homme pour naître encore aux autres, dans un monde sans racines et sans foi ».
Cette quête tragique du père, qu'évoque le cinéma contemporain, dit quelque chose de la situation spirituelle de l'homme en quête de Dieu. L'image est brouillée, de Celui dont on devrait apprendre le nom sur les genoux de sa mère. Saint Cyprien l'exprimait à sa manière : « Nul ne peut avoir Dieu pour Père sans avoir l'Eglise pour mère ! » C'est elle qui, l'ayant appris du Christ, le révèle à ses enfants. Mais quand la fragilité de la figure humaine du père se conjugue avec le sentiment d'une Eglise mauvaise mère, le Père céleste risque de ne plus être que la projection imaginaire des ressentiments. Jésus nous parle de son Père, « mon Père et votre Père », d'une tout autre façon, inaccessible aux sages et aux intelligents de ce monde. Et nous n'aurons jamais fini de nous ouvrir à cette parole, jusqu'à ce que nous devenions capables de voir en tout homme un frère. « Qu'as-tu fait de ton frère ? » Cette interrogation d'un père douloureux traverse notre histoire de violences et de rivalités. Comment serait-il possible, en effet, de devenir frères sans entendre la question, sans reconnaître la paternité de celui qui la pose, sans vouloir au moins quelque peu lui ressembler ?
C'est à partir de cette source que l'exercice humain de la paternité comme de la maternité, en leurs significations complémentaires de l'unique origine, trouve son sens et sa fécondité. Le père, selon la fine remarque de Xavier Lacroix, est celui qui est capable d'une parole d'appel, et de la tenir, quoi qu'il en coûte : promesse de vie qui suscite la confiance, autorité qui fait grandir, force qui révèle un don toujours maintenu. Notre société est en attente de ces réalités symboliques, pour que s'accomplisse en elle la prophétie de l'ange annonçant à Zacharie la naissance de Jean-Baptiste : « Il ramènera le coeur des pères vers les enfants. » En ce sens, la paternité est d'essence religieuse, l'acte d'espérance radicale.