Prés, et trad. B. Sesé. Arfuyen, 2004, 146 p., 16 €.

Fray Luis de León (1527-1591) est de loin le plus méconnu des grands auteurs spirituels du Siècle d'Or espagnol. Il est vrai que l’œuvre de ce « mystique humaniste » (comme l'appelait Unamuno) a été publiée depuis fort peu de temps en France, notamment grâce à l'un des meilleurs hispanistes actuels, spécialiste du Siècle d'or, Bernard Sesé.
Religieux augustin, professeur à Salamanque, éminent représentant de l'érasmisme espagnol, fray Luis avait tous les talents : grand poète, grand exégète et traducteur (d'origine juive, il était hébraïsant). Bénéficiant d'une notoriété considérable auprès des milieux mystiques, on lui confia la première édition des écrits de Thérèse d'Avila, morte depuis seulement quatre ans, bien qu'il ne l'eût pas connue personnellement. L'Inquisition n'avait pratiquement rien pu faire contre Thérèse dont la sainteté était notoire de son vivant ; après la mort de la Madre, elle essaya d'interdire ses écrits, dont plusieurs éditions édulcorées circulaient déjà, au prétexte que les illuminations qu'ils décrivent sont dangereuses pour les âmes sensibles et que leur manque de références théologiques les disqualifie.
Fray Luis, qui avait eu lui-même maille à partir avec les inquisiteurs (cinq ans d'injuste incarcération), se fait ici un malin plaisir d'opposer le génie d'une femme prétendument inculte à l'obscurantisme des prétendus savants. Ne pas publier intégralement Thérèse serait donc faire injure au Saint-Esprit « Dieu parle à ses amis, cela ne fait pas le moindre doute ; et il ne leur parle pas pour que personne n'en sache rien, mais pour que ce qu'il dit soit révélé. » Certes, mais encore faut-il que l'expérience de la personne à qui Dieu parle soit reconnue par le peuple de Dieu comme exemplaire. Leçon importante pour aujourd'hui où trop de textes dits « mystiques » sont jugés à leur seule aune littéraire ou psychologique.